Chroniques

par marc develey

domaine privé Pierre-Laurent Aimard
Johann Sebastian Bach | Der Kunst der Fuge (BWV 1080)

Cité de la musique, Paris
- 29 mars 2008
le pianiste français Pierre-Laurent Aimard photographié par Felix Broede
© felix broede

C'est un Kunst der Fuge baroque dans son mouvement d'ensemble, souvent sévère dans la réalisation et étrangement fluctuant dans son engagement que propose Pierre-Laurent Aimard.

La composition posthume du recueil par un des fils deJohann Sebastian Bach laisse à l'interprète une certaine mesure de liberté dans le choix du parcours des pièces qui la composent. L'ordre retenu par le pianiste diffère donc quelque peu de celui qui prévalut à celui de son récent enregistrement. Quatre sous-ensembles rythment le concert, deux par parties de soirée.

Sans surprise, les Contrapuncti I à VI, à l'exception du cinquième, ouvrent le second ensemble, les deux versions du VIII (rectus et inversus) encadrant le VII. La fin de la première partie inclut alors tous les numéros restant jusqu'au X (le VIII excepté). Le troisième sous-ensemble regroupe tous les Canons et s’achève de façon saisissante dans le silence final du Contrapunctus XIV, inachevé. En tête du dernier sous-ensemble, enfin, dans une construction semblable à celle du deuxième, le Contrapunctus XII accueille le VIII entre ses versions rectus et inversus. Le concert se termine alors dans la brillance des derniers accords du Contrapunctus XI. Une architecture très solide, donc, à même de recueillir les détails de l'écriture contournée – énigmatique, a-t-on pu dire – du contrepoint.

Un évident parti-pris de lisibilité se fait sentir dès les premières mesures du Contrapunctus I. Le legato subtil plonge dans une lecture d'une lumineuse austérité. Le son organistique du III et le portamento plus classique du II témoignent d'une belle exigence dans l’abord d'un recueil qui se présente, entre autres, comme un compendium des styles de son temps.

Cela dit, la belle gravité de l'exécution, manifeste dans le VI, in Style Francese, pâtit peu à peu d'un son assourdi ou brouillé dans des effets de pédale. La rudesse, la sévérité même, si touchantes dans l'enregistrement, montrent alors au concert une lourdeur parfois brutale, que ce soit dans la sur-assertivité du thème du X ou le final du V. Faut-il l'attribuer à la fatigue du pianiste ? C'est d'autant possible que les Canons, donnés juste après l'entracte, offrent la netteté de jeu du début de soirée. Le Canon per augmentationem in contrario motu, notamment, s'installe dans une atmosphère religieuse, désertique pourrait-on dire, qui en fait l'un des beaux moments de la soirée. Las ! Les pièces suivantes se réinstallent vite dans un jeu parfois heurté, aux plans sonores brouillés ou empâtés. Alors deviennent gênants le tactus variable et les cadences rythmées par d'amples et systématiques ritardendo qui, pourtant, assouplissent judicieusement l'austérité des premières pièces. Et l'on sort de salle avec l'écho brouillé d'une autre interprétation possible, et l'impression que le moment a fait défaut à l'artiste.

MD