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Chroniques
Don Carlo
opéra de Giuseppe Verdi
Départ tôt le matin, ce mercredi : de Strasbourg à Gênes, la route sera longue, et il est prudent de prévoir un peu de repos avant d’entamer les trois heures et demie du Don Carlo de Verdi. Arrivée en milieu d’après-midi, puis courte sieste, enfin un calice doré de Ponente Pigato de Savona, très savoureux, pour accompagner un pesto comme l’on n’en trouve qu’ici, et il est temps de prendre place dans l’impressionnante salle postmoderne du Carlo Felice.
C’est d’abord Valerio Galli qui surprend, à la tête des Orchestra e Coro del Teatro Carlo Felice. Moins aguerri au répertoire verdien qu’à Puccini qu’il joue régulièrement au Festival Torre del Lago, on n’attendait peut-être pas de ce jeune chef une version si probante de Don Carlo qui reste un ouvrage difficile à diriger, comme l’on sait. À trente-huit ans, Galli affirme une conception solide dont la facture en impose dès les premières mesures. Sur la durée, quelques baisses de tension se font sentir dans la fosse, mais rien qui le handicape vraiment. Par contre, certains passages sont traversés d’une fougue extraordinaire, et c’est cela qui compte : tout imprégnée du récit dramatique, sa proposition est avant tout intensément expressive. Bravo !
Aussi fermement soutenu et stimulé, le plateau vocal éblouit.
Retrouver en Filippo II la basse robuste et endurante de Riccardo Zanellato est, en soi, une véritable bénédiction [lire notre chronique du 12 janvier 2017]. L’impact est adroitement contrôlé pour envahir bientôt le théâtre dont l’acoustique ne semble pas des meilleures. De même l’on apprécie l’homogénéité de cette voix, véhiculant l’autorité nécessaire par une musicalité sans faille. Pour une prise de rôle, c’est une vraie réussite ! Notre collègue ne s’y trompait pas : Aquiles Machado possède en effet la santé requise au rôle-titre et un riche éventail dynamique [lire notre critique du DVD]. Le ténor vénézuélien livre un phrasé de grande tenue et offre des aigus ardents. Au disque, il donnait la réplique à Jonas Kaufmann et je l’avais beaucoup apprécié [lire notre critique] ; sur scène, le baryton-basse Franco Vassallo ne déçoit pas en Posa, avec un legato sublime dans une ligne rigoureusement menée. L’on n’en saurait dire autant de Marco Spotti, Inquisitore charismatique au timbre corsé mais dont une véhémence trop en force vient détourner l’émission du bon chemin.
Deux chanteuses nous scotchent. L’âge ne fait guère pâlir l’immense Giovanna Casolla qui dispose encore largement des moyens requis pour Eboli. Elle n’a rien perdu de son tempérament, O don fatale le prouve haut la main. La maîtrise technique pallie ce que l’organe n’a plus si facilement. Rendez-vous compte : la diva fit sa première Eboli il y a quatre décennies, c’est fou ! Soprano dramatique de grande stature, la Bulgare Svetla Vassileva, que nous avions saluée en Jeanne d’Arc [lire notre critique du DVD], campe une Elisabetta confortable qu’elle nuance habilement. C’est incontestablement du beau chant, oui, bien qu’il y manque un engagement dramatique plus audacieux. Les comprimari ne sont pas en reste. Mariano Buccino donne un Frate sonore, Marika Colasanto est un Tebaldo honorable, Didier Pieri un Lerma fiable. Enfin, avec des moyens qui ne demandent qu’à se déployer, Silvia Pantani est sous-distribuée en Voce dal cielo – il faudra l’entendre dans un plat plus conséquent.
Donnée l’automne dernier dans la cadre du Festival Verdi du Teatro Regio de Parme, qui se concentrait sur les opéras schillériens du compositeur, en coproduction avec le Carlo Felice et l’Auditorium de Tenerife, la mise en scène de Cesare Lievi gagne la capitale ligure dans la version de 1884 (en quatre actes et en langue italienne). Assisté d’Ivo Guerra, l’artiste, dont nous avons salué plusieurs travaux [lire nos chroniques de Demofoonte, Nina, Il Turco in Italia et La Wally], enferme ingénieusement l’action dans une sorte de grand cimetière de marbre, sombre et glacé, hanté par le poids de la religion – énorme croix dorée, croix de bois brandies, etc. Sous les lumières d’Andrea Borelli, la scénographie très soignée de Maurizio Balò fait son effet, malgré une direction générale assez pépère.
Demain, la route sera plus courte. Un peu de côte jusqu’au pied des Apennins, puis Parme, Mantoue et Vérone où entendre Bellini – non, pas I Capuleti e i Montecchi, tout de même ! Ce petit pèlerinage en terre lyrique a bien commencé.
KO