Chroniques

par katy oberlé

Don Carlo
opéra de Giuseppe Verdi

Teatro Fraschini, Pavie
- 17 novembre 2023
Magnifique DON CARLO (Verdi) à Pavie, mis en scène par Andrea Bernard
© diego steccanella

Retour en Italie, en cet automne clément dont les couleurs magnifient les trésors architecturaux des cités de la Botte ! À Pavie, nous découvrons le Teatro Fraschini, édifié sur les plans de Bibiena à partir de 1771 et inauguré par la représentation de Demetrio de Josef Mysliveček, le 24 mai 1773. A l’époque, il s’appelle Teatro dei Quattro Nobili Cavalieri, et ce n’est que près d’un siècle plus tard – exactement en 1869 – que la ville, devenu propriétaire du lieu, le baptise du nom du célèbre ténor Gaetano Fraschini (1816-1887), né ici. Nous y découvrons également une nouvelle production de Don Carlo que le jeune Andrea Bernard [lire nos chroniques de La traviata et de Lucrezia Borgia] signe dans le cadre d’OperaLonbardia, entité de production qui regroupe plusieurs théâtres lyriques : voyant le jour à quatre cents mètres du tombeau de Saint Augustin (Basilique San Pietro in Ciel d'Oro), le spectacle sera ensuite repris en tournée dans toute la région lombarde.

Sans se tenir à la littéralité, du moins en ce qui concerne la situation historique de l’ouvrage de Schiller et de Verdi, le metteur en scène sud-tyrolien transpose l’intrigue dans la seconde moitié du XXe siècle, comme le suggère la garde-robe conçue par Elena Beccaro. Entre souvenir des Karamazov (Dostoïevski) et de 1984 (Orwell), la scénographie d’Alberto Beltrame centre la dramaturgie autour de l’Inquisiteur auquel rien, absolument rien ni personne ne peut échapper. À sa manière, la lumière de Marco Alba dessine l’hostilité régnante, assez terrible, en fait. D’abord surpris, nous sommes vite convaincus, tant la pertinence de cette transposition réussit à s’imposer. Elle ne tient pas de la posture ou de quelque gymnastique intellectuelle mais d’une compréhension sainement critique de notre contemporanéité mise en regard de l’argument sans jamais contredire la musique.

Si la distribution réunie pour l’occasion défend le projet avec ardeur, Jacopo Brusa [lire notre chronique de La cambiale di matrimonio], maestro de trente-huit ans (Andrea Bernard en a trente-six), est tout aussi loyalement engagé dans l’aventure. Au pupitre de l’Orchestra I Pomeriggi Musicali, il affirme des choix forts et toujours en parfaite complicité avec la scène. Son interprétation bénéficie d’une appréciable palette de nuances qui, sans s’oublier dans des contrastes trop violents, soutient efficacement le chant comme le jeu. Soigneusement préparés par Massimo Fiocchi Malaspina, les artistes du Coro OperaLombardia assument une prestation de qualité.

À l’équipe vocale, reconnaissons d’emblée les vertus idéales à incarner les différents personnages de l’opéra. Applaudie dans un répertoire plus léger [lire notre chronique d’Il viaggio a Reims], Laura Verrecchia campe, avec ses moyens étendus, une Principessa d’Eboli de toute beauté : l’aigu est souverain, la ligne somptueusement menée, grâce à une technique indiscutable. De plus, le mezzo-soprano investit le rôle avec une intensité jouissive. Soprano dramatique au timbre moelleux, Clarissa Costanzo livre une Elisabetta généreusement projetée que lui autorise une saine construction de l’instrument, depuis l’assise des graves, indubitable [lire notre chronique de Mosè in Egitto].

Le quatuor masculin n’est pas en faute, bien au contraire. On retrouve avec grande satisfaction l’excellent Mattia Denti en Grande Inquisitore puissant [lire notre chronique de Tannhäuser] – c’est un stentor, ce qui accentue l’option de la mise en scène qui en fait le maître absolu de chacune des marionnettes humaines. D’une couleur ambrée, qui confère au rôle un caractère inattendu, Angelo Veccia campe un Rodrigo vocalement facile bien qu’il ne cherche en rien à flatter. Le belcantiste Carlo Lepore, souvent goûté dans une verve comique [lire nos chroniques de La grotta di Trofonio, L’élisir d’amore, Adriano in Siria, Il signor Bruschino, Torvaldo e Dorliska et La gazzetta], déploie la fermeté de sa voix de basse chantante et s’empare adroitement du rôle de Filippo II. Enfin, la troisième découverte de ce soir (avec le théâtre et la nouvelle production) est un jeune ténor napolitain qui enchante en Don Carlo. L’élégance et la santé du phrasé de Paride Cataldo, son évidente présence scénique, sans avoir à forcer le jeu, enfin une couleur vocale à la fois très typée, reconnaissable, et lyrique en diable, font une incarnation percutante dont on se souviendra.

Lorsque le plateau vocal est de si grande tenue, quand le chef sert si bellement l’œuvre, enfin avec une mise en scène qui renouvèle la vision qu’on peut avoir de Don Carlo sans lui manquer de respect, il y a vraiment de quoi être plus que contente, non ? Bravo à toute cette jeune équipe.

KO