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Chroniques
Don Carlo | Don Carlos
opéra de Giuseppe Verdi
Verdi par ci, Verdi par là ! Après Falstaff au Théâtre des Champs-Élysées, c’est au tour de l’Opéra de Paris de clore sa saison par un autre des derniers opéras du compositeur italien : Don Carlo. À moins d’une semaine d’intervalle, ce voyage à rebours dans la chronologie verdienne permet de mesurer le chemin parcouru par un artiste au faîte de sa maturité. Deux chefs-d’œuvre mais, entre eux, les années ont passé et le style musical a évolué : là où Don Carlo respecte encore la forme traditionnelle de l’aria, Falstaff marque son effacement au profit d’un discours musical continu. Paradoxalement, en s’avançant vers la mort, Verdi s’est rapproché de l’éclat de rire : Falstaff pétille de gaîté et de jeunesse, tandis qu’une sombre mélancolie sourd de Don Carlo.
La remontée dans le temps s’effectue aussi à l’égard de la production de Graham Vick, créée il y a tout juste dix ans, où l’on constate qu’à l’époque, les programmes ne faisaient pas l’économie du livret en fin de publication… Où l’on constate surtout que la mise en scène traverse l’épreuve du temps sans encombre. Si l’on peut regretter que Graham Vick privilégie parfois trop la dimension intime des personnages au détriment du politique et de l’épique, sa réalisation n’en est pas moins efficace dans la sobriété et l’atemporalité. Le fil conducteur en est la croix, qui apparaît à satiété (peinte sur le rideau de scène, creusée dans le sol rempli de cierges au premier acte ou, à l’inverse surélevée comme une estrade dans la scène de l’autodafé, ouvrant le plafond pour laisser pénétrer la lumière, s’étendant sur le mur à cour, etc.), quitte à souligner de façon un peu appuyée le poids de la religion catholique dans cette Espagne du XVIe Siècle.
L’ouvrage présenté est celui de 1884, créée à la Scala de Milan, sans l’acte de Fontainebleau ni le ballet de la version commandée par la grande boutique en 1867. Le jeune Teodor Currentzis (trente-six ans) s’empare de la partition avec fougue – et force mouvements de cheveux ! Dans l’ensemble, sa direction ne manque pas de souffle, même si elle paraît parfois massive, soit par la trop grande importance donnée aux cuivres, soit par le choix des tempi, soit par des accents trop marqués, comme dans le fameux duo Dio, che nell’alma infondere amor. Il semble plus à l’aise dans les scènes recueillies, comme dans le magnifique duo entre le roi et le Grand Inquisiteur où il sait prendre le temps d’installer de beaux silences.
Vocalement, la découverte de Stefano Secco dans le rôle-titre est réjouissante. Doté d’une voix solaire et d’un timbre extrêmement touchant, le ténor italien séduit par la beauté de son legato, la finesse de son phrasé et la subtilité de ses nuances. On se prend d’autant plus à regretter que ses partenaires ne soient pas toujours à la hauteur. Dmitri Hvorostovsky (Marchese di Posa), s’il en impose scéniquement, notamment lorsqu’il s’oppose au roi à propos des Flandres (Acte I), fait entendre des problèmes d’intonation et une voix engorgée qu’on peine à trouver belle. Le soprano Tamar Iveri (Elisabetta) ne manque pas de moyens, mais elle semble chanter pour elle-même et non pour les autres ; trop en intériorité, elle finit quand même par s’ouvrir au dernier acte, dans Tu che le vanità.
Yvonne Naef (Eboli) est mal distribuée : sans doute plus wagnérienne que verdienne, elle défigure la romance mauresque par des aigus acides, pour ne pas dire stridents, et un style contestable. Beaucoup plus à son aise, Ferruccio Furlanetto compose un Filippo II digne et imposant. Son Ella giammai m’ammo’ est émouvant, malgré un abus de sanglots, et son timbre s’harmonise bien avec celui de Mikhaïl Petrenko (Il Grande Inquisitore). Si la distribution n’est pas aussi éclatante qu’il y a dix ans, assister à une représentation de Don Carlo reste toujours une expérience forte. Par sa maîtrise musicale et ses niveaux de lecture multiples, cette œuvre complexe évoque tout à la fois Shakespeare et les grands opéras russes. C’est tout le génie de Verdi.
IS