Chroniques

par hervé könig

Don Carlo | Don Carlos
opéra de Giuseppe Verdi

Grange Park Opera
- 6 juillet 2019
Jo Davies met en scène "Don Carlo" de Verdi au festival Grange Park Opera 2019
© robert workman

Notre deuxième soir au festival Grange Park Opera 2019 nous fait quitter le post-romantisme néowagnérien d’Humperdinck [lire notre chronique de la veille] pour la tragédie historique avec Don Carlo, grand opéra à la française conçu par Verdi pour la scène parisienne en 1867 (Don Carlos), remanié plus tard en trois version italiennes (Naples, 1872 ; Milan, 1884 ; Modène, 1886). La manifestation retrouve pour l’occasion un chef italien invité l’an dernier pour Un ballo in maschera [lire notre chronique du 27 juin 2018], qui donnait pleine satisfaction. Il s’appelle Gianluca Marcianò et mène l’English National Opera Orchestra tambour battant, dans une interprétation rapide et captivante. Impliqué avec loyauté dans un ouvrage violent où les moments de tension se succèdent sans halte, Marcianò insiste sur le bondissement des rythmes, ce qui ne l’empêche pas de soutenir tous les chanteurs avec habileté, mais aussi le chœur efficace.

En Filippo II, Clive Bayley se montre meilleur comédien que bon chanteur. Il semble que la voix supporte mal les années, même si le registre grave de la basse impressionne encore [lire nos chronique de Gloriana, Billy Budd, Die Walküre, et Roméo et Juliette]. La précarité de l’aigu peut servir la fragilité d’un personnage intransigeant mais qui appelle une miséricorde impossible. Le jeune ténor italo-américain Leonardo Capalbo illumine la représentation ! Impétueux, son Carlo est vaillant, de cette vigueur brûlante qui va de pair avec l’émotivité. Le timbre très clair convient bien au rôle, même si l’on peut lui reprocher quelques portamenti et des excès de prudence qui frustrent d’aigus sans doute éclatants. Le travail des nuances est sensible et finit par apporter une élégance dont les premiers temps étaient dépourvus. On retrouve le baryton canadien Brett Polegato, Rodrigo robuste qui triomphe peu à peu de petits soucis d’intonation. Il n’empêche, la couleur devient de plus en plus verdienne, avec le temps [lire nos chroniques du 21 décembre 2007, du 11 mars 2012, du 26 mars 2015, du 12 mai 2016 et du 1er novembre 2018]. Impressionnant pour ce qui est du personnage et de son aspect physique, Branislav Jatić n’est pas le meilleur des Grand’Inquisitore : la voix tremble et le phrasé n’est pas stable. La jeune basse David Shipley possède un instrument magnifique qu’on a hâte de pouvoir entendre dans une partie plus conséquente que celle du Moine [lire nos chroniques du 17 novembre 2017 et du 21 mars 2019].

Les deux dames de l’affaire s’en sortent diversement. Le timbre riche et l’émission luxueuse de Marina Costa-Jackson font une grande Elisabetta, toujours en contrôle de ses moyens. La couleur de la voix pourra surprendre, avec des graves très présents, mais son homogénéité jusque dans le plus haut de l’aigu est un atout de taille. La carrière débute pour cette artiste qu’il faut suivre de près dans les emplois de grand soprano dramatique. Malheureusement, Ruxandra Donose ne convainc pas du tout en Eboli, la voix est trop petite pour un tel rôle [lire nos chroniques de The Fly, Farnace, Semiramide, Tamerlano, La concordia de’ pianeti et Arminio].

Grange Park Opera reprend ce soir une production de 2016, signée Jo Davies. En déclinant tout un camaïeu noir et gris foncé, les décors de Leslie Travers suggèrent les clairs-obscurs de l’Espagne de la Renaissance, une Espagne bigote et sanguinaire. Les lumières d’Anna Watson profitent du moindre élément, comme la fenêtre sur les arbres ou les bougies dont la vibration fait trembler les grands murs sombres. Gabrielle Dalton a réalisé des costumes qui se refusent à toute datation : certains pourpoints rappellent le XVIe siècle, les robes peuvent aussi bien venir de cette époque que du XIXe, contemporain du compositeur, de même que les manteau des hommes, carrément 1900. La sombre austérité est le dénominateur commun des costumes et des décors. Les mouvements d’ensemble bénéficient d’une cohésion parfaite grâce à la chorégraphie de Lynne Hockney. Tout cela est plutôt bien, mais reste décoratif, subalterne à une direction d’acteurs qu’on attend toujours. Les chanteurs sont ici livrés à eux-mêmes, sans construction des personnages – dommage !

HK