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Chroniques
Don Giovanni | Don Juan
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Avant le lever de rideau, Daniel Benoin, chargé de cette nouvelle production de l’Opéra de Nice, dont Anthéa (Antipolis Théâtre d’Antibes) est coproducteur, prend le micro pour une annonce. Pour cette troisième de la série de quatre représentations, le vidéoprojecteur principal ne fonctionne pas. Le metteur en scène [lire notre chronique du 17 mars 2013] en paraît extrêmement désolé, répétant plusieurs fois que ce problème « purement technique… change évidemment la nature du spectacle, mais n’en retire pas sa force... ».
Sans pouvoir évaluer les différences avec ou sans la totalité des vidéos conçues par Paulo Correia, le manque se fait surtout sentir pendant l’Ouverture où l’on imagine bien que le tulle transparent d’avant-scène est destiné à recevoir des images. Les animations filmées sont toutefois bien en ordre de marche, pour celles projetées sur le fond du plateau. On apprécie le mur de flammes, tandis que Don Giovanni est allongé dans son gigantesque lit, puis le ciel bleu en fond de décor ou encore l’horizon menaçant qui s’obscurcit rapidement pendant la scène du cimetière. En revanche, on goûte beaucoup moins d’autres séquences traitées en images de synthèse, comme lorsque des taureaux se promènent dans un champ et que les vaches paissant relèvent la tête (petit morceau de film répété à l’envi), ou encore les apparitions du Commandeur parmi des faisceaux d’éclairs.
L’action se déroule dans un vaste intérieur bourgeois dont les murs sont décorés de quelques peintures tirées de scènes du Don Juan, les protagonistes évoluant en perruques et costumes classiques du XVIIIe siècle, très raffinés, réalisés par Nathalie Bérard-Benoin. L’objet essentiel de la scénographie de Jean-Pierre Laporte est un praticable en forme d’immense lit, un traversin occupant presque toute la largeur du plateau. Allongé au départ, Don Giovanni porte un masque ; on l’imagine mort lorsqu’un vieux monsieur recouvre le corps d’un drap. Les personnages entrent en scène et s’assoient sur des chaises, pour une courte station, de part et d’autre du praticable. Cette idée sera reprise en conclusion du spectacle, avec un Don Giovanni qui – chose rare ! – meurt dans son lit (un lit géant, en l’occurrence).
Pour revenir à l’entame de la soirée, Anthony Ballantyne en vieux monsieur a un petit air d’Antonio Salieri dans le film de Miloš Forman (Amadeus, 1984) ; il vient s’asseoir au clavecin situé à cour, éclairé par un chandelier, pour assurer le continuo des récitatifs secs. Dans la première scène, Donna Anna, les yeux bandés, se montre nettement coopérative aux assauts du héros, ambigüité qui subsiste tout du long, y compris pendant Crudele, son grand air de l’Acte II, quand elle tient par la main Ottavio d’un côté et Giovanni de l’autre, celui-ci toujours allongé dans le lit. Pendant l’air du catalogue, Leporello passe en revue plusieurs livres devant Elvira, le très gros volume étant évidemment l’espagnol où doivent figurer les mille trois conquêtes de son maître. Un peu plus tard, celui-ci fait preuve une nouvelle fois de sa redoutable efficacité, lorsque Zerlina délace sa robe très tôt au cours du duo Là ci darem la mano, avant de se glisser tous deux sous les draps. Dans le quatuor qui succède, Elvira et Giovanni se bagarrent en roulant par terre… on comprend pour le moins l’Incomincio a dubitar dans la bouche d’Anna et d’Ottavio ! Un rideau tiré sur l’arrière permet efficacement de passer dans un environnement extérieur, au moyen des vidéos déjà évoquées ou d’orangers en pots, au second acte. Au bal final du I, l’idée de faire danser les invités allongés sur le lit est originale et bien trouvée, mais moins bonne l’initiative de sortir drapeaux bleu-blanc-rouge et bonnets phrygiens sur Viva la libertà… un clin d’œil qui casse l’ambiance espagnole maintenue par ailleurs.
La distribution vocale est de bon niveau, à commencer par Andreï Kymach en Don Giovanni qui possède la stature du séducteur, un timbre riche et de l’abattage. La puissance est cependant modérée – par exemple l’air Fin ch’han dal vino passe tout juste la fosse, pendant que des sous-vêtements féminins pleuvent des cintres. Ceci est flagrant lorsqu’on entend la voix vigoureusement projetée de Daniel Giulianini, Masetto dynamique et de fort impact. Le Leporello de Mirco Palazzi déroule un chant d’école belcantiste, bien assuré, avec un extrême aigu qui se voile, toutefois [lire notre chronique du 30 octobre 2016]. L’autre basse, Ramaz Chikviladze est en place mais n’impressionne pas outre mesure dans le grave profond du Commendatore [lire notre chronique du 3 décembre 2004], tandis qu’en Ottavio le ténor Matteo Falcier marque davantage – instrument d’une épaisseur certaine, suffisamment souple, mais plus à l’aise sur la nuance forte que piano.
Côté féminin, Natalya Pavlova (Anna) émet certains sons flûtés, l’aigu est plutôt souverain et précis. Elle possède aussi une bonne technique de colorature, ce qui lui permet de passer, en les détachant, les vocalises conclusives de Crudele. Les passages d’agilité ne sont pas le domaine d’excellence d’Alessandra Volpe (Elvira), qui se montre à son meilleur dans les moments de colère, comme Ah, chi mi dice mai. Le timbre est riche et de teint plus sombre que celui de sa consœur [lire notre chronique du 18 février 2018]. Veronica Granatiero chante Zerlina avec une jolie couleur fruitée ; elle a la jeunesse du personnage dans la voix.
Aux commandes de l’Orchestre Philharmonique de Nice dont il est le directeur musical, György Győriványi Ráth maintient une belle qualité d’ensemble, équilibrée en volume avec le plateau, respectueuse de la partition. Une soirée mozartienne de belle tenue qui réjouit le public niçois.
IF