Chroniques

par gérard corneloup

Don Giovanni | Don Juan
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra national de Lyon
- 10 octobre 2009
Don Giovanni (Mozart) à l'Opéra national de Lyon
© bertrand stofleth

Si, selon le vieux précepte, qui aime bien châtie bien, alors le metteur en scène Adrian Noble goûte tout particulièrement le Don Giovanni de Mozart dont il donne une vision aussi originale que motivée, aussi cohérente qu'argumentée, aussi impitoyable que bien menée.

Sur la même scène, le metteur en scène britannique avait déjà placé l'intrigue des Nozze di Figaro dans l'univers mondain et frelaté de Washington façon New Deal, tout comme celle de Così fan tutte sur les plages de la côte Est et leurs intrigues estivales. Ici, il s'agit du quartier italien des faubourgs de New-York, ses échoppes, ses poubelles, son linge qui sèche aux fenêtres, ses prostituées et ses petits caïds jouant volontiers aux gros bras, dans l'ombre omniprésente de la mafia. Don Juan est l'un de ces derniers, de surcroît obsédé par l'assouvissement d'une sexualité exacerbée, quasiment pathologique, qui voit en toute femme un objet permettant d'assouvir un désir éternellement inassouvi. À séduire ou à violer, c'est selon, mais toujours à posséder puis à rejeter. Pour le pas dire à jeter.

Sous cet éclairage sans concession – décors de Tom Pye, costumes de Deidre Clancy, éclairages de Jean Kalman –, loin du noble décavé mais restant très aristo dans sa débauche, l'intrigue et le texte de Da Ponte puisent une énergie nouvelle, une vigueur féroce et une contemporanéité de chaque instant. D'autant plus qu’en contrepartie du nivellement du prince des séducteurs au rang d'un petit malfrat de banlieue, les autres personnages acquièrent une épaisseur nouvelle, parfaitement dirigés, utilisés, vivifiés, tout comme les chœurs, excellents, interprètes mais aussi observateurs de ces scènes où la violence de quelques-uns n'a d'égal que le silence prudent du plus grand nombre.

Sans doute dans cette optique scénique rigoureuse et vigoureuse, le chef Christopher Moulds développe une direction qui l'est tout autant, mais s'avère nettement moins convaincante dès une ouverture menée à la façon d'une charge de cavalerie. Tempi trop rapides (comme dans le superbe premier air de Zerlina), refus de laisser chanter les notes l'espace d'une cantilène, trop d'éléments obèrent son sens indéniable de l'équilibre entre les divers pupitres d'un orchestre maison d'ailleurs en grande forme.

La distribution, elle-aussi, déçoit en partie au niveau de l'interprétation féminine, entre une Donna Elvira à la voix fatiguée (Alexandrina Pendatchanska) et une Zerlina à l'émission instable (Christina Daletska), seule la Donna Anna de Jacqueline Wagner possède une partie (et une partie seulement) des qualités requises en la matière. Le choix est nettement plus judicieux côté masculin. À côté du Don Ottavio musical d'Andrew Kennedy, du solide Commandeur d'Andreas Bauer et du Mazetto ardent de Tomislav Lučić, Markus Werba est un Don Giovanni vocalement sans faille et dramatiquement épatant, alors que Vito Priante (Leporello) ne lui est en rien inférieur, faisant des scènes entre les deux complices les grands moments de la soirée.

Cette production conclut en beauté le cycle Mozart|Da Ponte imaginé par Serge Dorny, le pugnace directeur de l'Opéra national de Lyon.

GC