Chroniques

par isabelle stibbe

Don Giovanni | Don Juan
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra national de Montpellier / Corum
- 30 mars 2008
le beau Franco Pomponi est Don Giovanni à l'Opéra national de Montpellier
© marc ginot | opéra national de montpellier

Peut-être parce qu'on est dans la ville du musée Fabre, qui accueille de nombreux tableaux de Soulages, on pense à une phrase du peintre sur sa couleur favorite, le noir : « une couleur violente mais qui incite à l'intériorisation ». Comment mieux définir la réalisation de Don Giovanni dans la palette de Jean-Paul Scarpitta ? Par des dégradés de noirs et de gris, le metteur en scène accentue les aspects les plus sombres de l'opéra. De la violence des appétits sexuels, du déchaînement des passions comme de la soif de liberté ne peut naître qu'un destin tragique, à la mesure de la démesure du libertin. Au-delà de cet outre-noir, par le raffinement et la retenue du mouvement mais encore par l'épure de la scénographie, ce Don Giovanni devient une œuvre intimiste où le héros semble presque étonné des troubles qu'il suscite. De Don Juan, que nous dit exactement Scarpitta ? Qu'au fond, il expérimente à chaque fois son pouvoir sur autrui, les femmes, Leporello et même Dieu. S'il ne gagne pas à tous les coups, le plaisir est dans le pari, comme pour tout vrai joueur.

Si globalement la production très esthétisante séduit par son impact visuel, on est néanmoins gêné par certains partis pris. Ainsi de la gestuelle du héros dont les manières affectées émasculent le personnage, lui ôtant sa charge virile – d'aucuns y liraient peut-être un surcroît d'insolence et de perversité. Il s’avère plus regrettable que des scènes cruciales manquent leur effet : l'apparition du Commandeur en être de chair et de sang banalise ce moment dramatique de l'opéra, tout comme la mort du héros qui lentement tombe sous le poids d'un lustre, atténue la violence et la portée de ce qui est en train de se (dé)jouer.

Au-delà de ces quelques faiblesses, le principal embarras de la mise en scène est… la direction musicale, aussi grise que les décors, mais avec des résultats opposés. À la tête de son Concert Spirituel, Hervé Niquet réussit le pari d'enlaidir l'Ouverture – un comble ! Sonorité acide, absence de discours, tempo trop rapide. Par la suite, ce sont les tempi qui pèchent le plus souvent par leur irrégularité, accélérés ou à l'inverse inexplicablement ralentis.

Plus homogènes s’avèrent les voix, même si aucune fait figure de révélation. Dans le rôle-titre, le baryton Franco Pomponi est de bonne tenue, quoiqu’un peu effacé, jusqu'à chanter pianissimo sa sérénade. Cyril Auvity (Ottavio) ne convainc pas lors de son premier duo avec Anna, à cause d'un ralentissement en décalage avec sa fiancée ; en revanche, les deux airs suivants laissent découvrir un timbre agréable et un style raffiné dont on regrette seulement, çà et là, une certaine raideur. Le Leporello d’Henk Neven est bon comédien, mais sa voix gagnerait à être projetée davantage, tandis que Nicolas Courjal (Masetto) fait entendre un timbre superbe que, dans Ho capito, l’on souhaiterait cependant plus brillant et dans un rythme plus décisif.

Côté femmes,Raffaella Milanesi (Anna) se tire honorablement d'une partition difficile, malgré des aigus tendus. Sans doute est-elle encore un peu jeune pour convaincre pleinement dans ce rôle qui exige plus de maturité vocale. Isabelle Cals déçoit en Elvira dont la tessiture ne lui convient pas vraiment. Anna Kasyan compose une Zerline crédible. Quel dommage que le duo La ci darem la mano manque son effet par la faute, encore une fois, de cette baguette fiévreuse ! – Don Giovanni ou le dissolu tempo

IS