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Chroniques
Don Pasquale
opéra de Gaetano Donizetti
D’un côté, il y a l’une des intrigues favorites de l’opera buffa : l’histoire du vieux barbon plein de morgue, de certitudes et d’argent, désireux d’épouser une jeune oie blanche, que bernent finalement deux jeunes audacieux amoureux l’un de l’autre… qui sauront quoi faire de la fortune du barbon ! De l’autre côté, il y a conflit de générations. Doté d’une partition éblouissante, regardant résolument vers la tradition virevoltante du comique rossinien, quoique écrit par un Donizetti déjà entré dans le moule imposant (voire envahissant) du Grand, pour ne pas dire « gros » opéra historique à la française – son Caterina Cornaro fut créé 1844 –, Don Pasquale (écrit en 1843) est généralement traité par les metteurs en scène (ou en image) sous le premier angle, uniquement : une bouffonnerie du plus brillant effet, tant vocal que musical, mais une bouffonnerie avant tout. L’intérêt du travail de Stéphane Roche est d’aussi traiter la seconde composante, via ses deux angles : le conflit des générations d’abord, l’appât du gain ensuite ; on pourrait même y ajouter l’art souverain de la femme – et quelle maîtresse-femme, ici ! – à diriger tout cela, dans un monde aussi masculin que machiste qui croit tout régir.
Tout se passe dans la Rome d’après-guerre, celle bouillonnante de l’après-fascisme, à la mafia discrètement présente, à l’antique bourgeoisie qui vit congelée dans le monde d’autrefois, aux sombres couleurs et à la jeunesse américanisée, vivant dans le sien – alive, coloré, délirant. Deux univers fort bien campés par les décors de Bruno de Lavenère et ses poufs années soixante, les costumes savoureux de Coralie Sanvoisin et les éclairages contrastés de Guido Levi. La direction d’acteurs gambade avec maestria, faisant fort bien évoluer une Norina plutôt épanouie dont il ne laisse pas oublier qu’elle n’est point une gamine ultra-moderniste mais une jeune veuve, finalement fort joyeuse, qui a déjà connu la vie.
Vocalement, justement, Jennifer Black (Norina) associe le chant bien mené et bien conduit à l’art du rubato expressif mais point excessif, couronné par un très bel aigu. Le tout jeune ténor Juan Francisco Gatell marie une séduisante plastique à un chant posé, bien conduit, passant avec bonheur du généreux au subtil. À côté d’un Don Pasquale solide développé par Roberto Scandiuzzi, vétéran de la scène lyrique, le grand gagnant de la distribution s’avère être Dario Solari dans le rôle, évidemment flatteur, du docteur Malatesta, digne compagnon de route de la rouée ; il en maîtrise la partie à merveille par une émission aussi souple que généreuse, jamais dure, toujours expressive. Le mélomane peut ajouter à son plaisir la prestation du Chœur du Capitole, homogène et musical à souhait, sous la direction d’Alfonso Caiani.
La déception – relative – vient curieusement de la fosse et de ses deux composantes passant pourtant, par tradition et pas essence, pour expertes dans ce monde lyrique éblouissant et plaisant. Si les maestros italiens son censés se mouvoir très à l’aise dans « leur » théâtre lyrique, Paolo Olmi n’affirme pas d’emblée la chose. Certes, tout est musicalement en place, mais une vie intense n’habite pas ni sa direction ni sa conception. Il semble n’apporter de soin presqu’exclusivement à l’orchestre, au détriment de la direction vocale, ne point assez doser, préparer, faire éclater les changements de registres, donc de vie, ne point laisser s’épancher le rubato… L’autre question concerne l’orchestre lui-même – jadis ô combien à l’aise dans ce répertoire – dont la vie indéniable mais comme épaisse semble aujourd’hui plus « rimski-kostakovienne » que « donizettienne ».
GC