Chroniques

par laurent bergnach

Don Quichotte chez la Duchesse
opéra-comique de Joseph Bodin de Boismortier

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Opéra Comédie
- 16 juillet 2015
Don Quichotte chez la Duchesse (1743) de Joseph Bodin de Boismortier
© le concert spirituel

Si son père est passé de l’armée à la confiserie (Thionville), le Lorrain Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) a laissé, pour sa part, son poste de la Régie Royale des Tabacs (Perpignan) afin de publier plusieurs livres de sonates pour flûtes et cantates, grâce à un privilège d’édition (Paris). Les salons importants de la capitale lui sont bientôt ouverts, mais aussi les portes des foires Saint-Laurent et Saint-Germain où il dirige l’orchestre durant quelque temps. Auteur d’un dictionnaire harmonique, de méthodes instrumentales et d’une centaine d’opus, le musicien conçoit trois opéras-ballets : Les voyages de l’Amour (1736), Daphnis et Chloé (1747) et ce Don Quichotte chez la Duchesse qui renaît aujourd’hui grâce à une coproduction entre Metz et Versailles – à écouter sur France Musique, le 20 juillet prochain, 20h.

Leclerc de La Bruère, futur librettiste de Dardanus (1739) [lire notre chronique du 22 avril 2004], a œuvré sur le premier des trois, mais c’est vers Charles-Simon Favart que se tourne Boismortier moins de dix ans plus tard. L’auteur d’Arlequin-Daradanus (1740) est alors metteur en scène à l’Opéra Comique, salle à peine trentenaire où est présenté Don Quichotte, le 12 février 1743. Évidemment parodique, l’ouvrage dépeint plusieurs tentatives de la Duchesse pour séduire l’illustre gentilhomme au moyen d’illusions propres à le retenir (enchanteurs et monstres de pacotille). Mais le héros de Cervantès reste fidèle à ses idéaux – son amour pour Dulcinée, en particulier – devant lequel s’inclinent, au final, les moqueurs, les cyniques et les esprits étriqués.

Reposant sur l’artifice théâtral et la mise en abyme, le divertissement en trois actes est aujourd’hui amputé de ses scènes parlées. Qu’importe, puisque cette contrainte autorise Corinne et Gilles Benizio à beaucoup de fantaisie, dont celle de faire un personnage à part entière d’Hervé Niquet – déjà leur complice pour La belle Hélène et King Arthur [lire notre chronique du 28 mars 2009]. Outre diriger Le Concert Spirituel avec une rondeur alerte après s’être glissé en armure de la salle à la fosse, le chef, habillé en torero, joue des castagnettes, pousse la chansonnette et rend hommage au générique de la 20th Century Fox. L’humour est multiformes et bon enfant, du running gagla malédiction !!! ») à la cocasserie poétique (le voyage magique en cheval à bascule, aux milieux des canards et des éclairs).

En costume d’époque signés Anaïs Heureaux et Charlotte Winter, nous retrouvons des chanteurs habitués au répertoire préromantique. D’abord instable et tendu, Emiliano Gonzalez Toro (rôle-titre) offre néanmoins des notes brillantes et colorées [lire notre critique du CD Lalla Roukh], et Marc Labonnette (Pança) un baryton vaillant [lire notre chronique du 9 novembre 2014]. Chantal Santon Jeffery (Duchesse) enchante par sa souplesse et sa clarté, justement applaudie dans l’ultime Vole, amour, vole. Fiable tout autant, Camille Poul (Paysanne) délivre un chant attachant et attrayant [lire notre critique du DVD Cadmus et Hermione]. João Fernandes (Merlin) et Charles Barbier (Amant) complètent efficacement la distribution, avec un chœur équilibré et Gilles Benizio (Duc), comédien convaincant.

LB