Chroniques

par hervé könig

Donaueschinger Musiktage 2017 – épisode 1
Emmanuel Nunes | Un calendrier révolu (création mondiale)

SWR Vokalensemble, Remix Ensemble, Emilio Pomàrico
Donaueschinger Musiktage / Donauhallen
- 20 octobre 2017
création mondiale d’Un calendrier révolu d'Emmanuel Nunes à Donaueschingen
© enric vives-rubio

Depuis l’été 1921, la cité de Donaueschingen, où se laisse admirer la source du Danube, dans le parc de son château, présente son fameux festival. Conçu à l’origine par un comité réunissant Busoni, Haas, Pfitzner, Nikisch et Strauss à la demande du prince Max Egon zu Fürstenberg, grand protecteur des arts, l’événement fit d’abord entendre l’opus 16 d’Hindemith et les œuvres des trois Viennois (Berg, Schönberg et Webern). À partir de 1935, il fut assujetti au régime nazi : les Donaueschinger Kammermusikaufführungen zur Förderung zeitgenössischer Tonkunst devenaient les Donaueschinger Musikfeiern pour devenir, après la guerre, durant l’occupation française, le festival Neue Musik Donaueschingen. C’est en 1949 que la manifestation fut confiée au musicologue bavarois Heinrich Strobel (1898-1970) qui dirigeait depuis trois ans et demi le département de musique de la toute jeune Südwestfunk. Auteur de plusieurs biographies critiques (Hindemith, Debussy, etc.) et de quelques livrets d’opéras pour Rolf Liebermann – dont Die Schule der Frauen en 1955 [lire notre chronique du 26 novembre 2010] –, Strobel fut très actif dans l’essor de la musique de son temps, toujours tourné vers la création et l’avenir, comme en témoignent les nombreuses commandes passées aux compositeurs. Il s’est associé les chefs d’orchestre Ernest Bour et Hans Rosbaud, enfin la personnalité de Pierre Boulez, talent émergeant des années cinquante qui lui dût beaucoup. Sous son ère, la responsabilité du festival fut remise définitivement à l’autorité de la Südwestfunk et il prit l’appellation de Donaueschinger Musiktage für zeitgenössische Tonkunst (Journées de musique contemporaine de Donaueschingen), bientôt résumée en Donaueschinger Musiktage – l’édition 1971 officialisera ce nom, le nouveau directeur étant alors le critique musicalviennois et producteur radiophonique Otto Tomek (1928-2013).

Après le musicographe badois Josef Häusler (1926-2010), bien connu outre-Rhin pour ses traductions des essais de Boulez, le musicologue saxon et éditeur (chez Peters) Armin Köhler (1952-2014), les Donaueschinger Musiktage sont dirigées par l’homme de radio Björn Gottstein. Il a réservé à l’édition 2017 quelques vingt créations mondiales qui rendent compte d’une volonté d’inviter les compositeursdu monde entier, « la polyvalence de la vie musicale, son hétérogénéité et sa diversité » faisant ici figure de manifeste. International, son programme est également transgenre, avec plusieurs incursions dans des expressions moins attendues. Il interroge deux aspects : « la validité des formes de concert », ce qui induit des installations sonores, par exemple, et « les défis technologiques actuels » (source : brochure de salle).

Ouvertes hier soir par une discussion publique puis l’exécution de Frames d’Hanna Eimermacher et Allegro ma non troppo d’Unsuk Chin, les Donaueschinger Musiktage 2017 prennent leur véritable envol aujourd’hui, avec deux concerts remarquables. À 18h, dans la Salle Mozart (Donauhallen), nous entendons deux opus rares d’Emmanuel Nunes (1941-2012) qui, en 1963, 1964 et 1965, avait été l’élève de Stockhausen, de Boulez et de Pousseur à l’académie d’été de l’Internationales Musikinstitut Darmstadt. À la tête du SWR Vokalensemble, Emilio Pomàrico joue Minnesang pour douze voix mixtes, œuvre conçue en 1975/76 sur des textes du mystique Jakob Böhme (1575-1624). Dans les années soixante-dix, Nunes trouva grand intérêt à la lecture du philosophe saxon. Illustrant son idée d’un langage qui dissimule des sens mystérieux sous un premier niveau sémantique, le musicien portugais démultiplie le potentiel de ses emprunts à Böhme par un jeu de phonèmes fort tortueux, décliné par plusieurs techniques vocales. Qui se cache, sinon dieu ?...

Contrairement à Minnesang (Ménestrel), Un calendrier révolu, écrit en 1968 pour un ensemble de quatorze instrumentistes, est demeuré inédit (sur le papier comme à la scène). À ce moment-là, comme nombre de ses collègues, Nunes se préoccupait de forme ouverte et de spatialisation. À ce titre, Un calendrier révolu pose les jalons et les récifs que solutionnera Quodlibet, vingt-deux ans plus tard. Cet opus se présente comme un archipel qui paraît anarchiquement organisé et puise dans des pages antérieures. Le souhait d’inventer un art dont les paramètres évoluent dans une cohabitation libre se révèlent assez clairement dans l’interprétation brillante du Remix Ensemble [sur le compositeur, lire nos chroniques du 28 septembre 2003, du 14 janvier 2010 et du 26 mars 2013]. Après ce préambule passionnant et émouvant, traversons la ville en diagonale sud-ouest/nord-est pour atteindre le second concert de la soirée.

HK