Chroniques

par hervé könig

Donaueschinger Musiktage 2017 – épisode 4
TRANSIT, spectacle de Laurent Chétouane

Donaueschinger Musiktage / Donauhallen
- 21 octobre 2017
aux Donaueschinger Musiktage, TRANSIT, spectacle de Laurent Chétouane
© ralf brunner

Et si, plutôt que de découvrir la musique en configuration de concert, comme le public en prit l’habitude au fil des siècles, on décidait de le convier à un spectacle qui la mettrait en scène, au-delà de la simple exécution instrumentale ? En cette fin d’après-midi, c’est le prédicat auquel le chorégraphe français Laurent Chétouane confronte les mélomanes des Donaueschinger Musiktage, soudain spectateurs.

Réunis dans en Salle Bartók (Donauhallen), les auditeurs, qu’accueillent des couvertures dans les gradins, distinguent soudain dans l’obscurité le surgissement d’un camion. On entend alors le très bref Quatuor à cordes n°2 (1963) de Michael von Biel, compositeur et plasticien allemand (né en 1937) engagé dans le mouvement Fluxus à la fin des années soixante et proche de Joseph Beuys. Les énergiques stridences de cet opus ancien rappellent ce qui préoccupe les saturationistes d’aujourd’hui. Lorsqu’elle vint au monde, lors des cours d’été de Darmstadt, cette esthétique du bruit n’avait pas seulement fait scandale : elle excita l’imagination d’Helmut Lachenmann. On peut considérer que son quatuor Gran Torso, créé à Brême en 1972, fut directement écrit sous cette influence. L’expressivité furieuse de Biel, qui ne s’encombre plus de données habituelles comme la hauteur du son, la place où l’on posee l’archet sur un violon, mais certainement de la pression brutale nécessaire à cet artiste de l’extrême, constitue un préambule percutant à cette installation mobile et sonore d’environ une heure, TRANSIT, produite par le Solistenensemble Kaleidoskop, collectif chambriste fondé à Berlin en 2006 qui s’est précisément donné pour mission de casser la forme traditionnelle du concert et de mêler la pratique musicale à d’autres expériences artistiques.

Une femme descend de la place du chauffeur et ouvre la porte du chargement. Comme après un long voyage dans le froid, les musiciens sortent du camion, chaudement couverts, avec des sacs et leurs instruments dans les étuis. Après avoir pris le temps de regarder le lieu où on les débarquait, ils déposent leur barda, dans une fatigue pesante. Les instruments font leur apparition. On tend les archets, on installe comme on peut les partitions. Les archets se posent, un vaste cluster se répand comme une mousson de douleur, lamentation étirée en microtons envahissants, selon une scordatura spécifique, imaginée par Chiyoko Szlavnics (né en 1967). Depuis une quinzaine d’années, la compositrice canadienne, qui vit à Berlin, prend appui sur son propre travail graphique dans sa démarche compositionnelle. Avec l’apport de l’electronic live, elle a souvent pratiqué les deux arts ensemble, dessin et musique, dans divers contextes. « Contrairement à la plupart de mes compositions depuis 2000, Memory Spaces (apparences) demande aux musiciens de concevoir de différentes manières le matériau, explique-t-elle. L'élément le plus important est l'extension de chaque note par des impulsions répétées. Cela augmente la communication et l'interactivité au sein de l'ensemble » (brochure de salle). Donné en création mondiale, Memory Spaces (apparences) superpose quatorze instruments à cordes en une arche, interrompue par une expectoration.

Il est temps d’enlever les manteaux pour, après une déambulation en cercle, jouer Maps of non-existent cities : Donaueschingen pour cordes et vidéo de Dmitri Kourliandski, autre création mondiale de ce concert (et, de même, commande du Südwestfunk). Né à Moscou en 1976, Kourliandski poursuit au pays natal et dans le monde entier une investigation du phénomène sonore, aussi bien dans des pièces pour formations classiques, rehaussées ou non de l’électronique en temps réel, que dans des pages pour haut-parleurs, voire des paysages musicaux [lire nos chroniques du 8 octobre 2010 et du 29 mars 2012, ainsi que notre critique de l’ouvrage édité par À la ligne]. Les Cartes inexistantes est un cycle concentré sur une topographie introspective, dont chaque pièce aborde une ville pourtant réelle, mais comme projection et point possible de rencontre imaginaire. « Les partitions ou leurs mots placent les musiciens dans des situations d'errance qui passe d'un objet sonore à un autre, créant des trajectoires uniques à travers le matériau. Dans le cas de Donaueschingen, la partition textuelle reconstruit différents modèles simples de communication : être seul (s'occuper de ses propres souvenirs et parfois de ses fantasmes), être forcé de communiquer, être interrompu, être en attente de communication, être géré par un chef, faire partie d'un groupe de personnes ou partager un groupe de pensées ou d'idéologies communes. ». Les instrumentistes s’installent finalement sur des chaises disposées en cirque, tandis qu’est projetée une vidéo de petits faits du quotidien. Le public est invité à descendre, à s’approcher. Après cette œuvre, pour nous il était temps de sortir.

HK

Nos précédentes chroniques de l’édition 2017 des Donaueschinger Musiktage :

création d’Un calendrier révolu d’Emmanuel Nunes, par le Remix Ensemble

Ilan Volkov dirige le Südwestrundkunk Sinfonieorchester :
créations d’Andreas Dohmen, Bernhard Lang, Thomas Meadowcroft et Øyvind Torvund

Ictus joue Hanna Eimermacher, James Saunders, Martin Schüttler et Francesca Verunelli