Chroniques

par hervé könig

Donaueschinger Musiktage 2017 – épisode 5
créations d'Eivind Buene, Misato Mochizuki et Marina Rosenfeld

Donaueschinger Musiktage / Donauhallen
- 22 octobre 2017
Paul-Alexandre Dubois dans Têtes de  Misato Mochizuki à Donaueschingen
© astrid karger

Cette troisième journée aux Donaueschinger Musiktage confirme la richesse de l’édition 2017 du festival allemand. La densité de la programmation, son foisonnement incroyable donnent l’impression d’être ici depuis une grosse semaine, c’est étonnant. Aujourd’hui, nous ne parlerons pas du rendez-vous Akustische Spielformen avec Olaf Nicolai ni des performances de Serge Baghdassarians et Boris Baltschun, de Werner Cee ou de Bill Dietz ni de l’exposition Sculptures sonores de Marianthi Papalexandri et Alexandri und Pe Lang, mais de deux moments proposés dans une configuration plus traditionnelle par le Südwestrundfunk Sinfonieorchester et l’ensemble Musikfabrik.

À onze heures du matin, à la salle Mozart (Donauhallen), Enno Poppe dirige la seconde formation citée, dans trois pièces nouvelles, présentées en première mondiale. D’Eivind Buene (né en 1973, à Oslo), nous découvrons Lessons in Darkness, trois leçons de ténèbres débutées par une mélopée nue. Tour à tour flottant, recueilli ou rituel dans la scansion, ce triptyque révèle une grande délicatesse de l’écriture des timbres. Si l’auteur rappelle, dans la brochure de salle, la teneur des pages baroques éponymes et notamment Couperin, il évoque aussi la notion de ténèbres sous la plume de Céline, le romancier français. Le résultat médite non sans quelque parenté avec Jonathan Harvey, mais avec un son metal que Fausto Romitelli affectionnait. Lessons in Darkness est conclu par une magistrale déploration de cloche. Malgré le talent de Marino Formenti (piano), Deathstar Orchestration pour piano et ensemble de la plasticienne-compositrice new-yorkaise Marina Rosenfeld a nettement moins retenu notre attention. La référence à un projet scientifique des années quatre-vingt-dix est intéressante, mais la facture relativement rétrograde de la pièce souffre d’être placée juste après celle du Norvégien.

À l’inverse, Têtes de Misato Mochizuki fascine ! Cette demi-heure écrite pour récitant (mais aussi chanteur, pour l’un des mouvements) et ensemble sur un livret du poète Dominique Quélen d’après Lafcadio Hearn, Irlandais passionné par le Japon qui collecta de nombreuses histoires d’autrefois et principalement celles de fantômes, est mise en scène par Frédéric Tentelier. On retrouve le baryton Paul-Alexandre Dubois [lire nos chroniques de The lighthouse, Qaraqorum, Aventures et Nouvelles aventures, When are you going to finish Don Quichotte ?, El Cimarrón et On-Iron] dans un récit horrifique non dépourvu d’humour. Le dispositif scénique est d’une sobriété exemplaire, laissant à la présence vocale et physique de l’artiste la place qui lui revient, soutenue par une composition qui l’invite à faire claquer le texte. C’est une seule histoire que nous suivons là, avec ses épisodes de samouraïs démultipliés, de fantôme sans visage, de voyageur téméraire et de dévorations terribles. Le théâtre est dans la musique, tour à tour rythmique ou figurative – on entend même la rumeur de la cascade. L’étrangeté absolue du climat d’ensemble est continuellement à la frontière de ce qui vit et de ce qui ne vit plus. Si le récitant s’amuse beaucoup à transmettre toutes les voix du récit, la prière pour l’esprit sans tête est confiée à l’ensemble instrumental. Après l’épouvante de celui qui se croyait amoureux d’une femme qui « n’avait ni yeux ni nez ni bouche », un épilogue se déplie sur le mode absurde, brisant la convention narrative – sur la compositrice, lire notre entretien, nos chroniques d’Ima koko, Taki no shiraito, Musubi, Etheric Blueprint Trilogy et de Quark II, ainsi que notre critique du CD.

HK