Chroniques

par hervé könig

Donaueschinger Musiktage 2018 – dernier épisode
Peter Rundel dirige le Südwestrundfunk Sinfonieorchester

Benedict Mason, Hermann Meier et Jānis Petraškevičs
Donaueschinger Musiktage / Donauhallen
- 21 octobre 2018
Peter Rundel dirige le Südwestrundfunk Sinfonieorchester à Donaueschingen
© ralf brunner

Commencé vendredi soir, le parcours offert par l’édition 2018 des prestigieuses Donaueschinger Musiktage s’est avéré très fructueux et largement diversifié, toujours en accord avec la thématique choisie cette année. À la tête du Südwestrundfunk Sinfonieorchester pour ce concert de clôture, Peter Rundel [lire nos chroniques du 10 novembre 2007, du 5 novembre 2008, du 26 février 2010, du 18 octobre 2013, du 3 mars 2017 et du 29 avril 2018] dirige trois créations mondiales, dont deux commandes du SWR pour le festival, selon la formule consacrée [telle qu’expliquée en préambule de notre chronique du 20 octobre 2017]. Dead wind pour orchestre est une pièce d’environ dix minutes, écrite par Jānis Petraškevičs, musicien né à Riga en 1978. Violoniste, il étudie la composition dans sa ville natale puis à Stockholm, Göteborg, Darmstadt et à l’Abbaye de Royaumont, entre autres, ayant pour maître Francesconi, Ferneyhough, Romitelli, etc. Sa musique est aujourd’hui au programme de la plupart des ensembles spécialisés et présente dans de nombreux festivals internationaux. Dès l’attaque énergique, Dead wind (Vent contraire) révèle une très grande maîtrise de l’écriture orchestrale. Le relief donné par l’accentuation n’est pas sans rappeler le Boulez de la maturité (Sur incises, 1998), dans un fin travail de couleurs où se manifeste une influence spectrale. Après cinq minutes d’une grande intensité, le compositeur développe un passage plus calme qui ne se départit pas de la polarisation principale – si bémol, aux quarts de ton inférieur et supérieur près. La manière de Petraškevičs surprend par l’efficacité de la lenteur qui la caractérise, une lenteur puissante habitée à profusion d’événements sonores.

Si quelques-uns de nos collègues ont exprimé des réserves, voire de la perplexité quant au travail de Benedict Mason (né en 1954), la présente création de son Ricochet fait abonder en leur sens [lire nos chroniques des 12 et 20 novembre 2012]. Aussi sera-t-il préférable de ne pas en rajouter, les trente-cinq minutes interminables de cette nouvelle pièce nous ayant déjà assez fait souffrir pour qu’il ne soit pas obligatoire de s’en souvenir. Parce qu’il est dommage de finir le festival [lire nos chroniques des épisodes 1, 2, 3, 4 et 5] par cette chose tellement pauvre, jouée à la toute fin, nous avons réservé pour la conclusion de ce feuilleton la page centrale du concert.

Une fois n’est pas coutume, nous entendions une œuvre ancienne, d’un compositeur suisse encore peu connu. Hermann Meier naquit en 1906 près des méandres de l’Aar et s’éteignit en 2002 à une soixantaine de kilomètres plus au nord, dans le même canton, au village où il fut instituteur durant près d’un demi-siècle. Tout en honorant fidèlement sa fonction, Meier, diplômé de la Musikakademie de Bâle, poursuivit une activité musicale subalterne mais exigeante, d’abord tournée vers les travaux des trois Viennois (Schönberg, Berg, Webern). Ainsi assistait-il à l’âge de quarante-deux ans à un congrès dodécaphonique réunissant les continuateurs Dallapiccola, Hartmann et Malipiero (1948). Toujours au fait de de la création musicale jusqu’à un âge avancé, le maître d’école ne connut guère de gloire artistique que quelques rares exécutions de ses œuvres dans un salon privé, à Berne. Pourtant, il fut à bien des égards en avance sur ses contemporains suisses, puisqu’il développa une dimension nouvelle de paysages sonores à partir des années cinquante. En hommage à Piet Mondrian dont il admirait la peinture, Meier rompt avec les techniques en vogue et couche sur plans ses Mondrian-Musik qui relèvent tant du domaine musical que du domaine graphique – sans doute une étude approfondie de cet aspect de son travail pourrait-elle s’avérer fort intéressante (avis aux universitaires…). On doit au compositeur bernois Urs Peter Schneider (né en 1939) de pouvoir découvrir à présent Hermann Meier, personnalité hors du commun qui laissa une œuvre pléthorique. Sept ans après sa disparition, à l’âge de quatre-vingt-seize ans, ses archives ont intégré la Paul Sacher Stiftung (2009). Parmi ses vingt-huit opus pour grand effectif, Peter Rundel et le SWR Sinfonieorchester donnent ce soir Stück für großes Orchester und Klavier vierhändig HMV 62 (Pièce pour grand orchestre et piano à quatre mains) qui date de 1965, en première mondiale, avec les solistes Lars Jönsson et Klaus Steffes-Holländer.

Très dru, le morceau (environ vingt-cinq minutes) assume une crudité radicale qui ne sacrifie pas à la tradition symphonique. L’absence absolue de toute figure ornementale écarte l’idée d’une écoute confortable. La résonnance arrêtée des percussions, des clusters contrastés ou encore le continuo extrêmement riche qui alterne avec un motif obsédant de litanie abstraite sont une signature insoupçonnée où l’on pourrait penser que plusieurs courants esthétiques se conjuguent. Une bonne mémoire auditive nous rappelle certaines particularités de Pithoprakta de Xenakis (1956), bien sûr Lontano de Ligeti qui verrait le jour trois ans plus tard, mais dans cette liberté de temps qu’on rencontre sous la plume de Feldman – Marginal Intersection (1951), notamment. La singularité de l’œuvre annonce nombre des musiques urbaines d’aujourd’hui.

HK