Chroniques

par gilles charlassier

Dorota Anderszewska joue le Concerto n°1 de Béla Bartók
Krzysztof Urbański et l’Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon

Opéra national de Montpellier / Corum
- 11 février 2011
Krzysztof Urbański dirige l’Orchestre national de Montpellier
© ole-einar andersen adresseavisen

Il y a quelques mois, certains mettaient en garde les directeurs musicaux contre ce qu’ils appelaient un « accès de mahlérite aigüe » qui, à leurs yeux, semblait néfaste aux orchestres, les rendant inaptes à jouer autre chose qu’un bouillon propre à masquer les lacunes des instrumentistes. À leur crédit Il faut bien avouer que les commémorations en cours peuvent inciter les programmateurs à quelques excès de zèle. Il n’en reste pas moins qu’un tel point de vue trahit une méconnaissance de la musique de Mahler ou une opinion partisane – on joue rarement Rameau et Mahler dans une même soirée, mais on devrait tenter, qui sait ?...

La Cinquième Symphonie jouée ce soir démontre que la richesse de l’univers sonore du compositeur en question ne saurait autoriser de laisser-aller de la part des pupitres – au contraire, serait-on tenter d’écrire. Mais c’est là le propos de la seconde partie du concert ; nous y reviendrons en temps voulu.

En ouverture, l’on aurait dû créer une œuvre de Magnus Lindberg. C’est un autre compositeur venu du nord qui fut convié, Krzysztof Penderecki, avec le Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima, donné pour la première fois à Auschwitz en 1967. D’une durée d’un peu moins de neuf minutes – qui correspond à celle de l’attaque nucléaire sur la ville japonaise, le 6 août 1945 –, la partition fait résonner le hurlement initial des cordes dans une exploration des textures et des jeux d’archets. Presque chaque mesure est un écho d’une souffrance sans visage, déjà défigurée. Les amplifications, les diminuendi, les décélérations qui se succèdent au sein de la masse orchestrale prennent une allure quasi motorique. Le jeune chef polonais Krzysztof Urbański se montre sensible à la plastique de l’œuvre, suffisamment pour ne pas s’appesantir sur ses intentions testimoniales.

Suivant l’ordonnancement consacré par des décennies de soirées symphoniques, c’est un ouvrage concertant qui est ensuite présenté. Le violon solo super soliste de l’orchestre de la maison, Dorota Anderszewska, interprète le Concerto pour violon n°1 Sz36 de Béla Bartók. Cet opus de jeunesse (posthume) est resté dans l’ombre du n°2 Sz112, achevé en 1938, trois décennies plus tard. Le premier mouvement, Andante sostenuto, s’ouvre sur un solo de violon, intérieur, qui se propage en canon aux différents pupitres. Après des inflexions plus graves, le chant initial conclut ce mouvement élégiaque. Le second, Allegro giocoso, se distingue d’emblée avec un motif de danse aux aigus virtuoses – le folklore magyar est ici fiancé à Paganini. La partition se montre parfois joueuse avec quelques citations qui décochent leur sourire espiègle. L’instrumentiste manifeste une égale aisance dans l’extraversion que dans la retenue et se montre sensible au goût du compositeur hongrois pour la variation, perceptible dans le mouvement vif. Le chef laisse aller l’orchestre dans une apparence d’improvisation loin de trahir l’esprit de l’œuvre. En bis, la violoniste hongro-polonaise livre une page tirée des Esquisses hongroises pour orchestre Sz97 de Bartók, Une soirée au village, d’une bonne humeur frémissante.

Après l’entracte, c’est l’heure de la symphonie.
C’est aussi l’heure de vérité pour l’Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillonet, surtout, pour le chef. L’entrée en scène de la marche funèbre qui inaugure la Symphonie en ut dièse mineur n°5 de Gustav Mahler sonne un rien précipitée. Le moelleux des cordes, la sensibilité du violoncelle ne pourront rattraper une lecture qui d’emblée ne s’embarrasser pas de clefs. La battue aura beau être fluide, il sera difficile d’étouffer un rire lorsque l’ultime appel du cor fera entendre un couac grasseyant. Dans le second mouvement, Stürmisch bewegt, mit grösster Vehemenz, on saura gré à la baguette d’une attention aux textures orchestrales, à l’honnêteté des bois. À trop vouloir échapper à la caricature mahlérienne, on manque l’essence de cette musique au pathos si particulier où le sublime voisine avec le trivial, l’un et l’autre emportés par un même élan panthéiste – « la symphonie doit être comme tout le monde » disait Mahler. La beauté sonore ne fait pas défaut dans le Scherzo, versant une lumière favorable sur l’orchestre dans les passages moderato cantabile. Mais le défaut de narrativité paralyse l’épanchement émotionnel attendu. Toujours épargné par le mauvais goût et par les cuivres se déroule le célèbre Adagietto. Le Rondo-Finale est joué dans la même veine, avec une certaine légèreté.

Le rythme idiomatique du compositeur autrichien, avec ses inimitables rubati et ruptures de tempo, apparaît étranger à Krzysztof Urbański. La construction dramatique des symphonies de Mahler n’explicite pas exclusivement les formes savantes reconnues et la luxuriance orchestrale peut faire accroire une maîtrise tant de la formation que de son chef. L’expérience invite cependant à plus de prudence. Leur interprétation ne saurait se limiter à une gestion de fond sonore, fût-il d’honorable qualité.

GC