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Double Points : +
chorégraphie d’Emio Greco et Pieter C. Scholten
C'est une symbiose rare entre danse et musique que nous ont proposée, en coproduction, durant trois soirées, plusieurs organismes parisiens – Ircam, EIC, Centre Pompidou, Théâtre de la Ville, etc. Le programme, entièrement consacré au compositeur Hanspeter Kyburz – né en 1960, et maître en musicologie, philosophie et histoire de l'art depuis une quinzaine d'années maintenant –, commence avec Danse aveugle, une pièce d'un quart d'heure créée en 1997.
Après un éveil délicat où chacun des cinq instrumentistes s'impose timidement – le piano n'existe d'abord que par des cordes tirées par Géraldine Dutroncy –, l'auditeur perçoit une série de déchaînements, puis de retours au calme. Ces emballements sereins, malgré des variantes virtuoses, n'en paraissent pas moins répétitifs. Ce corps de l'œuvre fait souvent penser à Messiaen, par la couleur des timbres, et l'usage ornithologique du piccolo. Tout revient au calme du début, dans une sorte de nocturne inquiet : le souffle sombre de la clarinette (Jérôme Comte), de la flûte basse (Sophie Cherrier) se mêlent aux traits nerveux mais brefs du violon (Hae-Sun Kang) et du violoncelle (Pierre Strauch). Avant de commencer la battue de cette pièce, Jean Deroyer aura laisser place à Emio Greco : tête rentrée dans les épaules, vives avancées de trois pas puis marche arrière, le danseur livre une brève improvisation, qui se conclût par une expression amusante, genre « vu l'espace dont je dispose, c'est tout ce que je peux faire ».
Une première performance de Double Points : +, d'une vingtaine de minutes, avait déjà été proposée en mai 2004, durant une résidence de Kyburz à Dortmund. L'œuvre, qui occupe la seconde partie de soirée, dure aujourd'hui un peu plus du double. Deroyer et le percussionniste Michel Cerutti se tiennent côté cour, les autres instrumentistes sont dos au mur, laissant cette fois un vaste plateau nu à l'art d'Emio Greco. Depuis 1995, l'artiste italien travaille avec le dramaturge et conseiller chorégraphique Pieter C. Scholten à la recherche de nouvelles formes. Leur intérêt pour le corps confronté aux impulsions extérieures trouve ici matière à créer une musique en mouvement : des capteurs dissimulés sous le vêtement du danseur produisent des impulsions, lesquelles sont autant d'informations transformées en un environnement sonore par échantillonnage électronique. En dehors du déclenchement de séquences jouées par un double virtuel du sextuor présent, le résultat apparaît décevant, car lorsqu'une musique souvent décousue s'arrête pour une minute, on entend au mieux des halos flûtés, des échos caverneux, au pire des effets synthétiques à deux doigts du larsen.
Dans un environnant aux lumières changeantes et sophistiquées – Henk Danner, Floriaan Ganzevoort et Joost Rekveld, de projections discrètes –, c'est donc le travail du danseur qui aura retenu notre attention. Fusionnant des éléments classiques et contemporains, Greco avance sur des pointes, buste rigide, jambes fléchies et bras souples. Tantôt il recherche l'ampleur du geste, tantôt c'est un coude qui part brusquement en arrière. Les mains paraissent se fuir sans fin, et quand l'une coiffe le sommet du crâne, l'autre touche un genou. Avec ses gestes vifs et précis, l'homme semble tour à tour un crucifié, la tête agitée de tremblements, un Ibère (danseur de flamenco ou torero) qui piétine en ondulant du bassin, un oiseau, un poisson... Parfois, avec violence, il se jette au sol, sur lequel il passe les derniers moments du spectacle, comme pour se reposer – malgré les tressautements comiques – de tous les efforts engagés dans cette création.
LB