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Chroniques
Dracula
film de Tod Browning – musique de Philip Glass
Halloween à Paris, lénifiant et dérisoire, suit les contours du Dracula de Tod Browning (1931), ingrat rejeton du nouveau cinéma parlant servant essentiellement de faire-valoir à l’acteur Béla Lugosi (dans le rôle-titre). À l’ombre de Nosferatu, eine Symphonie des Grauens de Friedrich Wilhem Murnau (1922) [lire notre chronique du 8 mai 2016], également adapté du roman épistolaire de Bram Stoker paru en 1897, et tandis qu’outre-Atlantique la parade au Village (New York) fêtait en grande pompe ses cinquante ans, c’est un navet qui est servi au public de la Villette mais, fort heureusement, en ciné-concert avec la musique de Philip Glass. Composée en 1999 pour le Quatuor Kronos, elle est interprétée au piano par Michael Riesman qui en a réalisé l’arrangement pour son instrument.
Au générique, l’écran noir blanchit de vive écume, joliment déposée par les doigts du vénérable Riesman – octogénaire, tout comme Glass. Grâce au jeu devenu rapide et saccadé, l’augural voyage en calèche fuse assez pour qu’on ne s’attarde guère au ridicule de la scène d’exposition, à l’intriguant aspect des costumes ou à la médiocrité du montage. Voix et bruitage semblent même écraser la musique, au rendu infirme au début du film, à l’exception d’un discret accompagnement.
Avec une petite incursion dans le jazz (Carriage without a driver) et un semblant de majesté théâtrale en quelques accords pour entrer dans l’antre du vampire (The Castle), le divertissement demeure léger et centré sur le rôle principal. Ainsi paraît bien chiche d’expression musicale, presque sans émotion, ni poésie. Le trouble du visiteur paraît toutefois mieux affirmé par les notes du piano que par le support audio-visuel. Alors en écoutant, au fond, en spectateur de cinéma, il devient facile de se laisser captiver et d’aimer simplement la musique pour les impressions qu’elle procure : énigmatique comme Lugosi à travers ses grands gestes et ses petits rires sous cape, rêveuse devant l’avancée des goules ophéliques vers l’intrus (The three consorts of Dracula), tournoyante sous la tempête... Comme un chatoiement, par l’iris de Philip Glass, sur des personnages types, certes fortement accusés – un vieux défaut du cinéma nord-américain –, révélé par l’interprétation moins rigide qu’il n’y paraît de Michael Riesman, et voilà qu’au dernier tiers du drame prend forme une expérience artistique particulière.
Parmi les passages marquants figurent le savoureux, quoique infime, piquant musical dans l’intimité de la jeune effrontée offerte au mort-vivant (Lucy’s bitten), mais aussi le soupçon de naïveté et l’allant charmant apportés à une discussion du vampirisme (Or a wolf, possible sommet de la partition), ainsi que cette petite déferlante de motifs gracieux sur le duel statique entre le docteur Van Helsing et Dracula – autant de points cruciaux dans la logique de The Hours, le grand succès de Glass pour le cinéma –, sans oublier l’efficace fugue à la poursuite finale.
FC