Chroniques

par gilles charlassier

Dreams
spectacle du Banquet céleste

Opéra de Rennes
- 23 mai 2022
L'Opéra de rennes propose "Dreams", spectacle signé Le Banquet céleste
© julien mignot

Avec Dreams, l’ensemble Le Banquet céleste propose, en coproduction avec l’Opéra de Rennes où il est en résidence, un voyage musical onirique à partir de pièces de Purcell et de Dowland. Imaginé par Cécile Roussat et Julien Lubek [lire nos chroniques de Müsennâ, Die Zauberflöte, La clemenza di Tito et La Cenerentola], le spectacle fait le pari de donner un épanouissement scénique à un répertoire intimiste et, loin du cercle des connaisseurs, relativement marginal, ne s’en tient pas à quelques pages emblématiques. Nulle gratuité opportuniste dans la dramaturgie, cependant : la proposition s’appuie sur une évidente cohérence thématique du florilège. La délicate mélancolie distillée par ces miniatures du Baroque anglais témoigne d’une veine esthétique illustrée par la mode des vanités dans la peinture de l’époque, ici réinventée avec une poésie où le duo formé auprès du mime Marceau n’oublie pas un soupçon de jeu.

Dans une admirable économie de moyens, le rideau s’ouvre sur la solitude, en fosse, de Damien Guillon, contre-ténor et directeur musical du Banquet céleste. Après les introductifs Pavana Earl of Salisbury de Byrd et Preludium improvisation de Dowland, le soliste se dirige vers le plateau en psalmodiant les évanescences de What then is Love but mourning de Rosseter, luthiste et compositeur de l’époque élisabéthaine, accompagné par les arpèges d’André Henrich, personnage du décor – et en costumes antiques – aux côtés du claveciniste Kevin Manent-Navratil et de la gambiste Isabelle Saint-Yves. Strike the viol initie un triptyque Purcell contrasté, où au lyrisme répondent une Allemande feutrée et la réserve d’Here let my life. Après l’anonyme The gilly flower au luth lui fera pendant un triptyque Dowland, dans une même scansion de deux songs par une page instrumentale – Away with these selfloving lads ; A dream ; Flow my tears.

Le jeu de miroir musical est prolongé sur le plateau, avec le dédoublement du chanteur par un acrobate, dans un face à face sans tain où le reflet devient un autre. Revêtue d’une lumière de bougie, la déambulation au milieu d’accessoires et de fantaisies philosophiques donne corps à une méditation jalonnée par deux diptyques instrumental-vocal : Purcell, avec A new ground et Here the deities approve, et Dowland – Melancholy galliard et l’ineffable I saw my lady sleep –, après une Pavane pour viole de Hume, Come heavy sleep de son contemporain Dowland et une escale française avec la déclamation d’un poème de Saint-Amant, de la première moitié du XVIIe siècle : La solitude. Décantés sur un tempo éthéré et relayés par les élégantes contorsions d’Aurélien Oudot, ces mirages du temps et des sentiments tissent une rêverie subtile qui se referme sur les iconiques Music for a while et O solitude (Purcell), servis par un intelligent frémissement de la ligne vocale, qui, avec Now o now I needs must part (Dowland) retourne vers le silence, comme l’évanouissement d’un songe.

Avec Dreams, l’Opéra de Rennes ne se contente pas de faire redécouvrir un répertoire. Il défend un objet scénique et musical non identifié qui participe d’un renouvellement bienvenu des formes qu’une institution dédiée à l’expression lyrique peut inscrire à sa programmation afin d’élargir la curiosité du public, en dehors des tentations dispendieuses. Et le miracle peut se produire avec trois fois rien. C’est la magie du théâtre et de la musique que défend le tandem Lubek-Roussat en osmose avec Damien Guillon et ses trois comparses.

GC