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Chroniques
d'un vendredi tous azimuts...
les chansons de Cristine, puis Mara Galassi
L’année a passé [lire notre chronique du 26 octobre 2004]. C’est avec plaisir que nous retrouvons les Journées de la harpe. En onze ans, la formule s’est peu à peu consacrée, invitant le public à une rafraîchissante déambulation dans la ville camarguaise où il lui faut parfois s’armer de patience et de détermination pour assister à des concerts qui ne désemplissent pas, cette saine et stimulante ébullition « harpistique »rencontrant un succès toujours plus grand.
Si jusqu’à présent le dessin de la manifestation révélait une ligne manifestement tracée par Marielle Nordmann (à l’origine de l’éclosion arlésienne de 1995), la direction du festivals’engage aujourd’hui dans un chemin différent qui verra les éditions à venir éclairée de la présence d’un invité d’honneur toujours nouveau. Sylviane Lange et Claude Pagès ont souhaité placer sous la bienveillance de Marie-Claire Jamet ces quatre jours fastueux. Aussi ces pages en proposeront-elles une sorte de feuilleton à vous mener d’un vendredi tous azimuts vers un dimanche virtuose à travers un samedi ethnique…
Pour nous, c’est avec le Workshop de Janet Harbison que tout commence, vendredi, l’artiste irlandaise construisant librement – comprendre : sans trame écrite pour ses interlocuteurs – et phrase après phrase une polyphonie relayée par des jeunes gens investis et attentifs, sonnant dans l’ornementale grande salle du rez-de-jardin de l’extérieurement austère Maison de la Vie Associative. Quelques marches d’escalier plus haut, nous assistons à la master class de Germaine Lorenzini qui n’hésite pas à revenir à l’origine physique du son et à en appeler à la conscience que peut avoir l’élève du vécu scientifique de celui-ci, pour l’inviter à agir plutôt qu’à subir le phénomène. Il s’agit d’utiliser la force de la corde pour rencontrer, dans sa résistance, sa personnalité sonore. Sans complaisance tout en s’affirmant amical, la pédagogue précise et justifie des choix de doigté – « même s’il fonctionne bien, celui-ci restera toujours scolaire, tandis qu’un autre, plus difficile en apparence, a plus de chance de laisser poindre un jour l’artistique » –, propose d’imaginer comment un autre instrumentiste jouerait ce que l’on a à jouer – « pense à la volubilité de la clarinette » –, convoque des métaphores efficaces – « tu cuisines ? Lier une blanquette avec un jaune d’œuf, tu sais faire ?... C’est un plaisir à se rouler dedans ! » – et invite à travailler les yeux fermés pour mieux sentir l’harmonie – « on est obligé de jouer plus lentement, mais on découvre des choses insoupçonnées qui ouvrent d’autres portes à l’interprétation ».
À 18h, le Théâtre accueille le spectacle de Cristine, harpiste auteur, compositeur et interprète qui, accompagnée par une guitare et un violon, nous emmène faire Un tour à Paris, raconte la truculente pingrerie de Fafa, la « pas-cadeau »qu’une mauvaise farce plumera, ironisant exquisément La séductrice avant que d’autres mots fassent vivre le grand-père « droit et sévère qu’on aime comme ça ». Après quelques tournées du duo Sedrenn qu’elle formait avec Elisa Vellianiti, Christine Mérienne se produit seule, charmant son auditoire du chien particulier de sa voix, mais aussi du soutien que lui offrent ses doigts à la harpe celtique. Si elle se souvient en souriant d’une époque où elle jouait pour les bobos alanguis d’un centre « thalassochicos », un rien d’une mélancolie jamais lourde croise les eaux limpides d’un humour volontiers féroce – « Ah ! Si j’avais des sous, des sou…cis de riche »– dans une aura poétique moins simple qu’on pourrait le croire, qui laisse rêveur lorsqu’elle part « faire des châteaux en mangeant du sable ».
Sur la scène de la Chapelle Saint-Martin du Méjan, Mara Galassi [photo] distille ensuite un récital d’un grand raffinement joué sur une harpe baroque italienne – harpe double à trois registres utilisée en Italie au début du XVIIe siècle, qui se répandra au début du suivant en France et en Angleterre jusqu’à devenir harpe galloise–, un instrument exigeant et souvent ingrat qu’elle maîtrise comme personne. Dans un programme commençant au milieu du XVIe siècle, avec Monteverdi et deux madrigaux à la touchante tendresse ou la fluidité brillante obtenue dans les pièces de Frescobaldi, et s’achevant deux cents ans plus tard, on admire l’élégance de l’articulation, faisant parfois se rencontrer clavecin, luth ou théorbe, la délicatesse d’un jeu diaphane à l’évidente agilité. L’on goûte particulièrement l’extrapolation redoutable de l’ornementation des Variations écrites par William Babel sur l’air Lascia ch’io pianga de Händel (dont il fut le claveciniste), données dans un dosage idéal, ne masquant jamais les figures principales, dans une interprétation qui dédramatise la prière de son origine tout en rendant compte de sa nature propre de lamento (une abstraction). Avec un potentiel de couleurs qui demeure réduit, la musicienne révèle des reliefs et concentre l’écoute, en grand esthète.
BB