Chroniques

par bertrand bolognesi

Dusapin, Hindemith, Ives, Rihm, Solbiati, Stravinsky et Widmann

Acanthes / Arsenal, Metz
- 3 juillet 2005
le compositeur et clarinettiste allemand Jörg Widmann
© dr

Après dix étés à Aix-en-Provence, dix-sept en Avignon, Acanthes s’installait à Metz l’an dernier pour une session concentrée sur Harvey et sur Manoury. Aujourd’hui, le centre pédagogique y invite ses stagiaires à explorer les œuvres de Dusapin et de Rihm. Sa première journée présente trois concerts dans l’acoustique exceptionnelle de l’Arsenal, trois moments qui conjuguent les talents du Quatuor Arditti, de l’Orchestre national de Lorraine, d’étudiants du CNR de Metz et de quelques solistes.

Premier rendez-vous à 18h, avec la prestation des Arditti et de l’accordéoniste Teodoro Anzellotti. Acanthes est lancépar la grinçante Ouvertüre zum Fliegenden Holländer que Paul Hindemith réalisait dans les années vingt, parodiant les premières mesures de l’opéra de Wagner, « déchiffré par un mauvais orchestre de ville d’eau devant une source thermale, à sept heures du matin »... Les quartettistes en livrent une lecture tant soignée que drôle, révélant brillamment la moquerie irrésistible d’une écriture définissant les rôles : les mélodies décalées au second violon, les frasques rythmiques à l’alto, tandis que le violoncelle et le premier violon jouent sur la couleur. Comment ne pas rire à l’écoute du thème des fileuses, perdu dans une indicible liquéfaction ? Comment aussi ne pas s’interroger sur le choix d’un climat d’humour pour les premiers pas de l’édition 2005 ?

Il y a deux ans, Jörg Widmann [photo] signait son Quatuor n°3, sous-titré Jagdquartett, dont on apprécie cet après-midi l’extrême énergie d’échanges osant certaines incongruités. Les Arditti en livrent une exécution exquisément tonique qui décline une palette infinie de nuances, avant de conclure par une petite mise en scène sympathique. De 1999 à 2004, Wolfgang Rihm écrivit huit mouvements, huit « lambeaux »nécessitant, lorsqu’on les joue dans leur intégralité, un quatuor à cordes et un accordéon. Tour à tour sombre et hargneuse, urgente et feutrée, énigmatique et brouillée, lente et contrastée, ces pièces brèves sont traversées d’un climat grave dont un certain lyrisme n’est pas exclu, et que l’on recroisera en fin de soirée.

Car c’est en effet Styx und Lethe qui introduit le troisième concert (21h30), une œuvre pour violoncelle et orchestre créée dans le cadre des Donaueschingen Musiktage 1988. Nous retrouvons Lucas Fels, musicien de Recherche, entendu cet automne à Musica dansMusik für drei Streicher de Rihm [lire notre chronique du 26 septembre 2004], aujourd’hui soliste dont l’intervention est virevoltante et contrariée, accompagné par Jacques Mercier à la tête d’un Orchestre national de Lorraine assez terne, mal à son aise pour faire convenablement sonner l’écriture dense de cet opus. Après la création française de Memoriam d’Alessandro Solbiati, on goûte la subtilité des textures de Celo de Pascal Dusapin, la partie de violoncelle solo étant confiée à la dédicataire et créatrice de l’œuvre, Sonia Wieder-Atherton. Enfin, le très précis Sylvio Gualda, en tandem avec Jacques Mercier,clôture la journée en dirigeant The Fourth of July, gentil cirque éclectique extrait d’Holidays Symphony, composée par Charles Ives en 1913.

Entre ces deux moments, c’est à un portrait de chambre d’Igor Stravinsky que l’on assiste. L’accentuation éclairante de l’interprétation du Concertino pour quatuor à cordes par les Arditti s’associe à une vision non distanciée plutôt surprenante, Siegfried Mauser proposant ensuite une sonorité savamment construite au piano de la Suite italienne, assez maladroitement articulée par Sonia Wieder-Atherton. Le compositeur Jörg Widmann est également clarinettiste : il signe une exécution d’une stupéfiante égalité d’émission et délicatement colorée des Trois pièces de 1919. Si Ian Pace heurte malencontreusement la dynamique des Trois mouvements de Petrouchka, les Trois pièces pour quatuor de 1914 sont un régal de précision. Gualda conduit une version idéalement équilibrée des deux Suites pour petit orchestre, à la tête de l’Ensemble du CNR de Metz.

Ce lancement sera suivi d’une quinzaine de jours de cours, conférences et ateliers, comptabilisant cette année cent trente-huit inscrits venus de trente-quatre pays, et sept autres concerts, dont deux que donneront les stagiaires d’Acanthes (17 et 19 juillet).

BB