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Chroniques
Dutilleux, Lutosławski et Schumann
Miklós Perényi, Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker
Dans le cadre de la célébration du cinquantenaire du Traité de l’Élysée (22 janvier 1963), la Salle Pleyel accueille cette semaine trois programmes des Berliner Philharmoniker, dont un chambriste (vendredi). Musique allemande, bien sûr, musique française, cela va de soi, mais encore musique polonaise font l’affiche de ces soirées. Ainsi retrouvons-nous ce soir deux des compositeurs qui firent le menu de la veille, Schumann et Dutilleux [lire notre chronique du 26 février 2013].
Avec la meilleure bonne volonté du monde, on ne pourra que s’étonner d’une disparité assez peu cohérente dans les choix de programmation, surtout quant à ce concert, précisément. Pour commencer, Simon Rattle joue Métaboles qu’Henri Dutilleux écrivit entre 1962 et 1964 : oui, toute la cohérence réside sans conteste dans la datation de la pièce, exactement contemporaine du traité fêté. Les musiciens berlinois en réalisent somptueusement chaque trait solistique et le chef britannique mène rondement son monde, lorsqu’il oublie d’écouter trop passivement les joliesses de son instrument. On goûte une dynamique soignée, sinon pensée, et même un final dont on pourra dire qu’il « a de la gueule », par exemple. Bref, rien de bien déterminant.
L’excellent Miklós Perényi fait ensuite son entrée. Il ouvre en solo le Concerto pour violoncelle de Witold Lutosławski (1970) qui, reconnaissons-le, n’est pas son œuvre la plus réussie. De discrète autorité, le violoncelliste hongrois absorbe l’écoute dans ce passage solitaire, mais ne parvient cependant pas à l’y maintenir : encore son solo se résume-t-il en un jeu d’esprit qui n’en aurait pas, pour ainsi dire. Admirable de concentration et de conviction, son interprétation s’ingénie en vain à bonifier un opus indigent. Proprement britteniennes, les sonneries de cuivres ne manquent pas de panache, de même que certains voyages timbriques « remorqués » par le célesta et le piano dans une couleur par moments ravélienne ; encore l’épais unisson de toutes les cordes impressionne-t-il… et alors ? Avec son attirail d’effets éculés, l’inégalité de la production lutosławskienne laisse songeur.
Un peu de sérieux : la seconde partie est consacrée à la Symphonie en ut majeur Op.61 n°2 de Schumann. Ceux qui s’en réjouissent omettent qu’il leur faudra compter avec une option plutôt louablement défendable en soi mais nettement moins probante dans les faits. Fort de son expérience renouvelée avec l’Orchestra of the Age of Enlightenment, Simon Rattle entend replacer la musique de Schumann dans ce qu’avec plus ou moins de bonheur on pourrait appeler un « contexte d’authenticité ». Ainsi affiche-t-il à raison un effectif dégraissé des enflures vingtièmistes. Le premier mouvement s’avère leste, extrêmement ténu, et arbore des dosages minutieux dans une articulation générale assez nerveuse. Indéniablement la parenté avec les exécutions sur instruments « historiques » est revendiquée, encore que soit joué ce soir un orchestre d’aujourd’hui. De fait, une dichotomie se fait bientôt sentir en ce que la relative sécheresse rencontrée ne peut guère s’élever dans la richesse de timbres forcément absents. Du coup, malgré un dessin fort clair, l’emphase semble systématiquement brutalisée et l’interprétation se révèle vite exsangue. Rattle se lance dans un Scherzo virevoltant, très léger, dont à plusieurs reprises l’on craint qu’il adopte le ton d’une opérette d’arrière-cuisine à sujet surnaturel. Reposant essentiellement sur une accentuation démontrée dont la panse se dégonfle aussitôt pincée, la lecture se contredit dans un Adagio qui se pâme dans l’auto-contemplation alanguie des timbres modernes. Le mouvement en ressort curieusement maniéré, appesantissant son élan lyrique – « espressivo », dit le texte – dans des rubato de romance. L’ultime Allegro halète dans une fièvre folle, plutôt efficace, qui fait figure de signature, quand bien même la vigueur dévore toute lumière. Bien qu’on comprenne ce qui la motive, cette conception ne nous convainc pas.
BB