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Chroniques
Edgar Moreau et Pierre-Yves Hodique
œuvres d’Alkan, Debussy, Poulenc et de La Tombelle
C’est plus d’une quinzaine de rendez-vous avec le répertoire français que propose le Palazzetto Bru Zane à l’Auditorium du Louvre, depuis la mi-septembre. Ainsi, après le fort beau récital du jeune pianiste hongrois Dániel Lebhardt [lire notre chronique du 25 septembre 2014] et un moment de grâce offert par le Quatuor Modigliani [lire notre chronique du 15 octobre 2014], nous retrouvons un cycle au programme passionnant, cette fois desservi.
Le menu s’annonce bien, avec la Sonate de concert en mi majeur Op.47 de Charles-Valentin Alkan (1856-57), compositeur rare, mis à l’honneur par le Centre de musique romantique française de Venise durant toute la saison précédente [lire nos chroniques du 5 décembre, du 17 novembre et du 11 octobre 2013]. Ce vaste opus de quatre mouvements faisant à lui seul l’objet de la première partie du concert, l’entracte sera suivi par la grave Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur de Claude Debussy (1915) et celle, plus tendre, de Francis Poulenc (1949-48), séparées par la quasi résurrection d’une page que signait Fernand de La Tombelle en 1900, Andante espressivo en mi bémol majeur. On découvre cette romance sérieuse bien tournée, d’une discrète élégance (sans « gentillesse » ni mièvrerie), dans un son très vibré. Le violoncelliste Edgar Moreau affirme un lyrisme généreux quand, au piano, Pierre-Yves Hodique se révèle extrêmement soigneux de la dynamique. Prenez note : le Trio en la mineur Op.35 de La Tombelle sera joué par les Wanderer, mercredi 5 novembre, ici-même.
Mais ce bref moment dissimule-t-il les approximations, les maladresses et crissements allègrement dispensés dans les autres pièces ? L’inégalité des approches, au sein même d’une même œuvre, est assez criante pour qu’on ne la taise pas sans aller jusqu’en faire un couplet. Attachons-nous donc aux quelques joliesses ici goûtées, guère nombreuses, il est vrai.
Dans la sonate au grand souffle d’Alkan dominent le ton d’heureux héroïsme de l’Allegro molto initial, l’exquise tendresse de la Sicilienne pianistique, savamment pédalisée, de l’Allegrettino, aux fragmentations étonnamment modernes, la facture ténue de l’Adagio, méditation fauréenne avant l’heure sur un battement d’accords en choral ; de l’élan rhapsodique final Prestissimo, on s’efforcera d’en tout oublier. Dépourvue de la lumière mozartienne chère à son auteur, la sonate de Poulenc bénéficie d’une approche interprétative strictement « réglementaire », pour ainsi dire, d’où pointent çà et là quelques perles – remarquable halo campanaire du piano, en ouverture de la Cavatine, âpreté profonde des premiers pas du Finale –, mais encore bien des désagréments, comme ce caf’conc’ en friction d’hôpital des armées, Ballabile à faire peur.
Dans la Sonate en ré mineur de Debussy, Edgar Moreau se montre nettement plus à jour techniquement. Si le Prologue demeure encore un peu tiède quant à la musicalité, les jeunes gens s’imposent par une Sérénade en songe amer, dans un secret ludique. Enfin, sans forcer jamais le trait le relief du dernier mouvement est superbe, habité d’une verve incontestable. La fréquence avec laquelle se laisse constater les soucis assez systématiques des violoncellistes avec l’aigu de leur instrument conduit à poser plusieurs questions : la proximité de l’oreille avec la caisse, toute vibrante des graves, entrave-t-elle le contrôle direct des aigus, l’entraînement aux sons graves se fait-il au détriment de l’aigu, devient-on violoncelliste parce qu’on n’aime le grave ou parce qu’on n’entend pas l’aigu ? etc. Cattiva lingua : de nombreux autres violoncellistes jouent justes, bien sûr !
BB