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Chroniques
ein Liederberg
Angelika Kirchschlager
Le mélomane y goûtant aussi bien le répertoire de chambre, la musique symphonique et le récital soliste, l’on pourra décidément dire que tous les genres, excepté l’opéra, sont représentés à Verbier qui offre également quelques soirées de Lieder. Après un concerto de Haydn, celle de samedi se poursuit par la transcription pour cordes de cinq Lieder que Franz Schubert écrivit sur des poèmes de Goethe. L’exercice de Bren Plummer accuse une criante pauvreté au regard du piano original qui, paradoxalement, fait sonner beaucoup plus d’instruments, voire d’autres voix, que cette version tristement décolorée.
Du très viennois Ganymed, l’on apprécie l’égalité de timbre et la projection décontractée d’Angelika Kirchschlager qui mène une expressivité jamais excessive. Toujours en intime intelligence avec le texte, le mezzo autrichien sert Geheimes d’une nuance subtilement ouvragée et Heidenröslein d’une élégance absolue. On regrette cependant un pianissimo parfois détimbré, un aigu hésitant, tout en reconnaissant l’esprit de son interprétation. Plus intérieur encore, Du bist die Ruh profite d’une grande souplesse de phonation où surprend un bas-médium incertain. Enfin, le contraste de Rastlose Liebe s’avère idéal en fin de première partie, la chanteuse s’y montrant diseuse incontestable.
Mercredi soir, nous retrouvons Angelika Kirchschlager, débarrassée d’attaques aigues parfois heurtées, dans un mini récital avec le pianiste Simon Lepper, venant remplacer le menu initialement prévu avec le soprano américain Barbara Bonney – on se souvient du fort bel enregistrement Mendelssohn de ces deux voix [lire notre chronique CD]. Cette fois au meilleur de sa forme, la voix transmet merveilleusement des secrets, comme ceux du Fischerweise de Schubert, altier, intelligent. L’excellente couleur choral du piano, feutrée, toute en demi-teintes, et un chant précis et habité dont l’intention poétique se laisse suivre mot à mot, donnent un Abschied simplement superbe, suivi d’un Rastlose Liebe exactement expressif, sans excès. Angelika Kirchschlager nous emmène, c’est certain, comme en témoignent encore trois Lieder de Brahms qui suspendent l’écoute à ses lèvres. Sans emphase, Der Gang zum Lebchen laisse place à la délicatesse indescriptible de Therese, tandis que Von ewiger Liebe libère la voix, soudain plus lyrique, sur un piano qui affirme une plus franche ampleur.
Plus rare, nous entendons cinq Lieder und Gesänge Op.38 de Korngold mêlant la nostalgie d’un héritage romantique au divertissement développé en Amérique du nord. Irrésistible sensualité de Glückwunsch, tendre et suave, où le pianiste ne se laisse pas séduire par les possibles effets flatteurs de la partition ; nauséeuse et redoutable harmonie changeante de Der Kranke où Kirchschlager se révèle diseuse exceptionnelle, prenant bientôt des risques avec la nuance et l’émission pour un Alt-spanisch d’un raffinement inouï. Dans Alt-englisch, elle surprend par un changement radical de couleur vocale où elle gagne une incroyable gouaille. L’onctuosité de l’anglais lui sied à merveille dans Kein Sonnenglanz où le chant s’épanouit généreusement, complètement délié.
À l’accueil chaleureux, totalement charmé, de l’assemblée, la chanteuse répond par un bis résolument différent et logiquement amené, si l’on y réfléchit un peu. Der Abschiedsbrief, composé en 1933 par Kurt Weill sur un poème du Dresdois Erich Kästner, rencontre ici une exécution plus proche du théâtre et du cabaret que de l’opéra ou de la salle de concert, une approche parfaitement en adéquation avec sa dédicataire, Marlene Dietrich (qui, d’ailleurs, ne le chantera jamais).
Entre ces deux grands moments, la déception est grande, dimanche, au récital de Matthias Goerne. Si le piano de Christoph Eschenbach s’y fait à la fois humblement fidèle à la partition, dans Schumann (Liederkreis Op.24), et attentif au chanteur, puis opulent et orchestral dans Brahms (Lieder und Gesänge Op.32), la prestation vocal souffre d’une gestion extrêmement laborieuse du souffle, d’un grave exsangue et d’une couleur plutôt limitée. Tous les effets sont appuyés, ce qui, à la rigueur, aide à porter plus haut la pauvreté des poèmes choisis par Brahms (August von Platen et Georg Daumer), mais dont n’ont que faire les vers de Heine. Outre que le baryton semble cruellement dépourvu d’un registre intermédiaire entre la diaphanéité méditative et le coup de gueule homérique, une systématique contradiction entre cette omniprésente démonstration et le pianiste, discret et intérieur, accable largement l’écoute. Oublions.
BB