Recherche
Chroniques
Eine florentinische Tragödie | Une tragédie florentine
Der Zwerg | Le nain
C'est une unité de dénouement que nous proposent ces deux opéras en un acte : chaque fois, une situation amoureuse se tend, rompt dans la mort tragique d'un des protagonistes, et se solutionne étrangement dans la sérénité retrouvée pour ceux qui survivent. Il y a quelque chose de fascinant et d'effroyable là-dedans, et Zemlinsky, sur ces deux livrets tirés de pièces d'Oscar Wilde, ne manque pas de nous mettre mal à notre aise par une musique extrêmement sensuelle qui se dynamise d'oppositions brutales et de quelques dissonances acides. Il conviendra de féliciter l'Orchestre Symphonique de la Monnaie et Markus Stenz qui surent faire sonner le plus dramatiquement qui soit ces belles pages, en un mouvement bouleversant. On eut souvent l'occasion d'apprécier à Paris ce jeune chef lors des concerts de l'Ensemble Intercontemporain où il se fit remarquer par ses qualités de précision, de fidélité à l'esprit autant qu'à la lettre des ouvrages qu'il aborda, ainsi que par sa grande lisibilité pour les musiciens. On ajoutera aujourd'hui à ces propriétés la délicatesse autant que le savoir-faire lyrique. Bref, une bénédiction ! Et, faut-il l'avouer – avec Der Zwerg, nous étions loin au-dessus de la triste lourdeur unidimensionnelle qu'y déployait James Conlon au Palais Garnier ces derniers temps.
Nous avons bénéficié, pour les deux ouvrages au programme de la soirée, d'une distribution tout à fait honorable, et surtout d'une mise en scène passionnante, proche du texte, et rondement menée. Pour la Tragédie florentine, Andreas Homoki a réduit l'espace de jeu à un véritable mur de boîtes et emballages entassés, entreposés. Le marchand Simone arrive dans cette sorte de hangar et y trouve Bianca, sa femme, trinquant allègrement avec le jeune Prince Bardi. Dès les premières mesures, on sait qu'une issue fatale se vivra sur ce lieu fermé et oublié du reste du monde.
James Johnson, souffrant ce soir, a assumé de jouer cet acte bouche fermée, et c'est Eyberg von Wertenegg qui lui prêta sa voix depuis une loge d'orchestre. Cela se fait souvent ainsi, à cela près que la plupart du temps, le personnage perd dans ce cas sa crédibilité scénique. Il conviendra donc de souligner les efforts de la part du malade, campant un Simone parfaitement joué, avec subtilité, le rendant malin, rusé, redoutable et caustique, si bien que ce qui eut pu se faire handicap fut vite dépassé et oublié. Ce vase clos se déroule dans une tension dissimulée, avec intelligence et finesse, tout reposant sur une direction d'acteurs au cordeau, où rien n'est laissé au hasard. C'est le ténor suédois Pär Lindskog qui chantait d'une fort appréciable clarté de timbre, appuyant son jeu d'une diction parfois venimeuse (quel mépris sur les « Simone ! », par exemple), le rôle de Guido Bardi. Le plus fort n'est celui que l'on croit, et le Prince mourra, nous valant un regard à la fois perdu et amoureux de la très énigmatique et réservée Bianca de Randi Stene, après le crime, pour son mari qu'elle découvre ne pas connaître : « Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu étais si fort ? ».
Pour Der Zwerg, Homoki nous invite dans une vaste chambre d'enfant où joujoux et cadeaux viennent s'amonceler, que l'on déménagera à plusieurs reprises, en une sorte de ballet fébrile lors des préparatifs en vue de l'anniversaire de l'Infante. Nous restons là dans une esthétique de l'accumulation. Amusant : les suivantes ont toutes le même faux nez retroussé impertinent, de même que les valets se coiffent à l'identique et se déplacent pareillement bras tenus, mains ouvertes gantées, derrières en retard, regards affairés, et petits pas précieux. La dominante est le gris, et les couleurs des cadeaux sont comme patinées par le temps ou l'imagination. Autre option importante : le metteur en scène préfère se rapprocher du conte de Wilde dans lequel l'Infante est une enfant, contrairement à l'ouvrage de Zemlinsky qui en fait une adolescente de dix-sept ans. De ce fait, le chœur d'amies devient une volière de gamines particulièrement drôle et réussie. On a forci les jambes, sans lésiner sur les dentelles et les rubans dans des perruques de poupées désuètes, les sauts à pieds joints, les gloussements mains sur la bouche, etc. Ce n'est plus de la cruauté d'une infante dont on parle, mais bien de la cruauté simple de la vie elle-même, la situation devenant insupportable pour tous.
Claudia Barainsky a su se montrer une infante pertinemment impertinente, gâtée, mais également drôle, non dénuée de cœur, et servit la partition comme il se devait. Bravo au nain de Douglas Nasrawi, vaillant, puissant et nuancé, qui parvint sans peine à nous émouvoir. Ce rôle est écrasant, on ne le répètera jamais assez, et ce fut un grand moment que de l'entendre si sainement défendu.
BB