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Chroniques
Eine florentinishe Tragödie | Une tragédie florentine
opéra d’Alexander von Zemlinsky
Les ouvrages d'Alexander von Zemlinsky restent rares à la scène. Après les représentations bruxelloises de 2003 [lire notre chronique 8 février], après une belle version de concert à Radio France [lire notre critique du CD], enfin après la production de Der König Kandaules ici même [lire notre chronique 7 mars 2006], la Tragédie florentine est montrée par l'Opéra national de Lorraine – notons que cet opéra encore peu connu chez nous comptera deux nouvelles réalisations durant la saison 2006-2007 : en mars à Montpellier (avec Il segreto di Susanna de Wolf-Ferrari), en avril à Lyon (avec Luci mie traditrici de Sciarrino).
Si le livret d'Eine florentinische Tragödie situe l'action à Florence, dans la maison d'un riche marchand, la mise en scène de Carlos Wagner lui préfère un entrepôt d'étoffes d'aujourd'hui. Le spectacle y perd les chatoiements d'une nostalgie rêveuse, mais l'intrigue gagne une rudesse plus acérée, comme un précipité dramatique inévitable. Ainsi l'énumération des trésors de soieries, de brocard et broderies se contente-t-elle de dérouler fiévreusement les rouleaux des textiles les plus ternes, ce qui souligne le sordide profit commercial que sait faire Simone d'une situation domestique évidente, contraignant Guido Bardi à acheter autant de lanternes qui ne sont que des vessies, en toute connaissance de cause. On pourrait citer de nombreux exemples de ce type qui tendent adroitement cet acte bref, contrastant judicieusement avec le lyrisme de la partition qui va son court.
Ce travail utilise également les indices littéraires en leur ménageant une mise en exergue qui les éclaire, comme c'est le cas pour « Spinn ein Kleid, getaucht in Purpur, für den Gram zu seinem Trost » (« File une robe teinte de pourpre où le chagrin lui-même trouverait un réconfort »). Pourtant, il faut parfois savoir s'arrêter à temps : le fait que la valise de Simone contienne des tenues d'escrime sous-entend que le marchand se soit uniquement éloigné du logis sans partir vraiment pour un long voyage, donc que tout soit prémédité. L'option est plus qu'intéressante, mais l'alourdir par la présence du compteur électronique d'une compétition d'escrime vient non seulement parasiter la perception du drame mais replonger la scène dans l'anecdote, ce qui jusqu'alors fut savamment évité. Par ailleurs, mis à part ce capricieux débordement, si le principe de la mise en scène est excellent, sa réalisation ne s'avère pas à la hauteur. Elle instaure une convention vaguement chorégraphique entre les protagonistes, menant à une codification hyper-rigide du déplacement et du geste, sans que les chanteurs en aient intégré les intentions, de sorte que tout paraît gauche, y compris la tendresse sensuelle du couple adultérin, assez improbable.
Parmi le trio vocal, on est déçu par la Bianca de Diana Axentii, guère convaincante ; certes, la voix se prête au rôle, mais sans vraiment s'y investir, et cette absence d'expressivité s'accompagne d'une cruelle carence théâtrale. En revanche, on retiendra Chad Shelton campant un Guido crédible au timbre clair qui toujours mène souplement le phrasé.
Incontestablement, Kirill Karabits s’affirme le meilleur acteur de cette soirée.
À la tête de l'Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy, il dirige une interprétation remarquable de l'œuvre. Les premières mesures plongent immédiatement dans une histoire de passion, affichant une certaine sensualité dans le lyrisme adopté. On entend beaucoup des détails de l'orchestration parfois généreuse de Zemlinsky, toujours utilisés en tant que ressorts dramatiques. Ainsi les incises de cordes suggèrent-elles génialement les insinuations polies de Simone. Le chef réalise des alliages timbriques aussi subtils que les sous-entendus du texte de Wilde, ménageant une riche dynamique à l'expressivité exacerbée de son geste – geste sonore, s'entend bien – qui utiliser chaque méandre de la partition en le chargeant de sens. On en saluera donc l'à-propos comme la vigueur, ardente comme le vin de Naples – « Neapels Wein ist feurig wie sein Berg ! ».
BB