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Chroniques
El pintor | Le peintre
opéra de Juan José Colomer
Dans une scénographie radicale de Ricardo Sánchez Cuerda, stylisée uniquement par la suggestion lumineuse du dessin, où Blanca Li a chorégraphié de façon très affriolante de successifs objets féminins de désirs masculins, une poignée de chanteurs incarne ce soir des personnages historiques. Le principal d’entre eux n’est autre que Pablo Picasso, rôle conçu pour le ténor Alejandro del Cerro dans une écriture ingrate qui sollicite l’endurance et la force mais non la musicalité. Le livret d’Albert Boadella narre les aventures du jeune peintre débarquant à Paris qui, parce qu’il ne parvient pas à la reconnaissance de ses pairs, signe un pacte avec le diable.
Le but ? Gagner toujours plus d’aura et de puissance, qualités que le XXe siècle ne rend accessible qu’à l’homme riche, selon l’ouvrage présenté en création mondiale à Madrid, El pintor de Juan José Colomer (né en 1966), opéra de cent-cinquante longues minutes aérées par deux entractes (beaucoup de spectateurs ne regagnent pas leur siège après le second) : cela nous mène à plus de trois heures de présence pour ressasser à quel point Picasso fut un arriviste, un voleur d’idées épris d’argent et de gloire, un érotomane impuissant, un destructeur de l’art, même, au profit du commerce, bref, le plus sale des sales types, sur fond de résurrection du bon vieux mythe faustien, sans cesse ressorti du placard à balai dès qu’il s’agit de critiquer la soif de succès d’un artiste. À ce titre, Josep Miquel Ramón incarne un personnage moins historique que légendaire : Méphistophélès, bien sûr ! Il s’en acquitte facilement, grâce à un baryton-basse corsé, conforme à ce que le mélomane du XIXe siècle attendait de ce diable-là. La belle Fernande Olivier, amante et modèle du peintre, prend la voix du soprano séduisant de la sensuelle Belén Roig. Le mezzo pétillant de Cristina Faus donne vie à la grande Gertrude Stein.
Passée la bonne surprise du décor, puis des costumes plutôt intéressants de Mercè Paloma, très bien mis en lumière par Bernat Jansá, les peintures d’inspiration cubiste et les vidéos montrant en taille géante les différents styles de Picasso (Dolors Caminals et Sergio García) ne parviennent pas à noyer l’ennui. Pas plus que la mise en scène grossièrement redondante, réalisée par le librettiste lui-même. À l’inverse, la musique de Juan José Colomer s’affirme beaucoup plus subtile, elle. Assaisonnée de quelques dissonances bien de notre temps, sa trame évolue des raffinements contemporains de la jeunesse du peintre, dans des couleurs symbolistes et impressionnistes (du coup très françaises) puis fauvistes (à la rencontre de l’Orient des Russes et de la danse des provinces espagnoles), aux arêtes plus abstraites de l’après-guerre, figurées par un rythme parfois complexe et une fragmentation assez typique.
Avec intelligence et sensibilité le compositeur a donc choisi d’introduire la peinture dans sa musique, remise entre les mains d’un effectif semi-chambriste (type ensemble à géométrie variable) constitué d’instrumentistes de l’Orquesta Titular del Teatro Real. Si l’écriture vocale est principalement faite de contrastes, aussi bien dans l’intensité que dans les intervalles, la direction de Manuel Coves révèle une partition orchestrale plus fine. Parions qu’en recourant à une plume moins caricaturiste pour de prochains livrets, Colomer, avec cette belle façon qu’il a de rencontrer son sujet, livrera dans l’avenir d’autres opéras qui, eux, ne feront pas flop. Bravo également aux voix du Coro de la Comunidad de Madrid (dirigées par Félix Redondo).
KO