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Chroniques
Elektra | Électre
opéra de Richard Strauss
Il est rare de sortir d’une première avec le sentiment d’avoir assisté à un authentique événement. C’est ce qui arriva ce jeudi au public qui assistait à la première d’Elektra présentée à Bruxelles. La prise de rôle d’Evelyn Herlizius est assurément l’une des plus belles Elektra vues et entendues au cours de ce dernier demi-siècle. Ce jeune soprano dramatique allemand, apprécié notamment à l’Opéra de Lyon en Ortrude dans Lohengrin de Wagner, est une fille d’Agamemnon fascinante. Chez elle, tout coule avec un naturel inouï. Une voix charnelle, lumineuse, polychrome, d’une expressivité confondante. Elle a le théâtre dans la peau, tant elle investit ce personnage hallucinant qui semble émaner de son être ; son jeu, sa présence physique, son aptitude prodigieuse à passer de la nostalgie la plus intime au tragique le plus noir, font de cette belle cantatrice une artiste complète. La terrifiante malédiction des Atrides atteint avec elle une vérité à couper le souffle. Elektra (1909), quatrième opéra de Richard Strauss, fruit de la première collaboration du compositeur bavarois avec le poète dramaturge autrichien Hugo von Hofmannsthal, est l’un des ouvrages lyriques les plus exaltés du répertoire. Evelyn Herlitzius en est la figure tutélaire, le seul être vivant, dominant même la terrifiante figure de sa mère, Clytemnestre, qui devient avec elle une simple marionnette désarticulée.
La mise en scène de Guy Joosten est très efficace et, sous ses aspects faussement traditionnels, renouvelle le propos de l’œuvre qui ouvre à quantité de lectures, née au moment où Freud cristallisait sa pensée. La direction d’acteur est irréprochable, offrant un luxueux écrin à Evelyn Herlitzius et à l’ensemble de la troupe réunie autour d’elle. Laissant tout d’abord pantois, avec un mur immense qui attend le public, faisant à la fois penser à l’enceinte de Mycènes et à une prison – c’est de prison qu’il s’agit finalement, puisque, une fois levé, ce mur laisse place à un vestiaire de gardes chiourmes en train de se disputer férocement en lieu et place de servantes –, la scénographie de Patrick Kinmonth s’arrange une fois les barreaux franchis. L’on se retrouve alors dans une cour atomisée dominée par un mur délabré flanqué d’un escalier raide rongé par les mites et, au beau milieu, un mirador rouillé à l’ombre duquel git une couche d’odalisque sur lequel lit Electre. Cette production n’est pas avare en surprises, puisque, les meurtres accomplis, le mur s’efface pour révéler la terrasse d’un palais Renaissance flamboyant jonché de cadavres ensanglantés, tandis qu’Electre repose inanimée dans les bras de son frère, seul être vivant de ce cauchemar, avec sa sœur Chrysothémis, sauvée par sa couardise. La scène finale, inattendue, est d’une beauté saisissante : Electre, libérée, détruit tous ses accessoires de mort qu’elle jette dans un baril auquel elle met le feu, avant de se lancer dans le palais où on la découvre sans vie dans les bras de son frère.
Face à la fascinante incarnation d’Evelyn Herlitzius, que l’on retrouvera la saison prochaine à l’Opéra de Paris dans le Crépuscule des dieux, Doris Soffel campe une Clytemnestre puissante et noble encore, magnifique de déchéance et de déliquescence, et Eva-Maria Westbrock une Chrysothémis pusillanime et morne. Donald Kaasch est un Egisthe enragé et décadent, Gerd Groschowski un Oreste totalement étranger au geste qu’il se doit de commettre et à la sollicitude de sa sœur. Dans la fosse, l’Orchestre de la Monnaie scintille, chauffé à blanc par Lothar Koenigs qui sait ménager des espaces de lyrisme éperdu et de force tellurique étourdissante.
BS