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Chroniques
Elektra | Électre
opéra de Richard Strauss
Troisième et dernière étape du mini-festival de l'Opéra national de Lyon, après le Tristan und Isolde d’Heiner Müller et L'incoronazione di Poppea de Klaus Michael Grüber [lire nos chroniques des 18 et 19 mars 2017], l'Elektra de Strauss réglée par Ruth Berghaus, ici reprise par Katharina Lang, dissout l'usuelle césure entre fosse et plateau, entre autres pour pallier des dimensions initialement incompatibles.
Inscrite dans un dispositif scénographique blanc et azur entre esquisse portuaire et navire abandonné imaginé par Hans Dieter Schaal, la conception de la chorégraphe et metteur en scène allemande restitue l'épure littérale du drame d'Hofmannsthal, avec une économie aujourd'hui souvent ensevelie sous maintes intentions et autres recontextualisations. L'intemporalité se lit également dans les costumes dessinés par Marie-Luise Strandt, qui ne s'interdit pas d'engueniller à juste titre une héroïne aux bras mutilés en moignons. Enchaînée à une corde, « telle un chien », avec son écuelle, ainsi que l'explicite le texte, celle-ci, au milieu de quelque proue, capture et catalyse l'action théâtrale. Par un habile jeu d'éclairages réglés par Ulrich Niepel, la violence et le sang qui se trament en coulisses n'ont pas besoin d'excès d'hémoglobine pour générer une puissance sismique au diapason de l'orchestre.
Cette évidente réussite est relayée par une distribution admirable.
En Électre, Elena Pankratova se fait hagarde et redoutable prêtresse de malheur, conjuguant l’animalité vocale à une intelligibilité sensible aux inflexions psychologiques de la prostration et de la souffrance, sans avoir besoin d'inutile emphase. La Chrysothémis de Katrin Kapplusch ne se révèle pas moins impériale dans son airain lumineux et sans pesanteur. Christof Fischesser incarne un Oreste de belle allure, à la vaillance indéniable. Le royal et vénéneux couple ne s'épargne pas les stigmates des ans, entre une Lioba Braun qui ne verse pas pour autant dans la caricature, et la brève intervention de Thomas Piffka en Égisthe, où se reconnaît les traces archétypales d'un Hérode (Salome). On saluera le solide précepteur d'Oreste, confié à Bernd Hofmann, ainsi que Patrick Grahl et Christina Nilsson, respectivement Jeune serviteur et Surveillante. Préparé par Philip White, le Chœur fournit les effectifs des servantes, tout en complétant la galerie de personnages secondaires – la confidente de Clytemnestre, la porteuse de traîne ou le vieux serviteur – quand les jeunes domestiques sont assumées par des membres du Studio de l'Opéra national de Lyon.
Mais c'est assurément la direction d'Hartmut Haenchen, lequel officiait à la création de la production à Dresde en 1986, qui constitue la cheville ouvrière de la réussite d'une soirée balayée par un souffle tragique irrésistible, imposant sans écraser les chanteurs, et porté par une baguette à la fois cursive et sensible aux détails expressifs de la partition et de l'instrumentation. Le paradoxe veut que des trois spectacles reconstitués par le festival, ce soit le plus « ancien » qui se révèle le plus vivant.
GC