Chroniques

par irma foletti

Elias | Élie
oratorio de Felix Mendelssohn

Opéra national de Lyon
- 23 décembre 2023
L'Opéra de Lyon reprend ELIAS de Mendelssohn mis en scène par Calixto Bieito
© bertrand stofleth

Plusieurs œuvres ont donné lieu, dans un passé récent, à des réalisations visuelles alors que leurs créateurs n’avaient pas imaginé qu’elles soient, un jour, mises en scène. On peut d’ailleurs parler d’une certaine accélération, ces dernières années, quand on pense au Requiem de Mozart illustré par Romeo Castellucci au Festival d’Aix-en-Provence et par Stéphane Braunschweig à Bordeaux [lire nos chroniques du 3 juillet 2019 et du 20 janvier 2023], ou à la version équestre de Bartabas, créée au Salzburger Festspiele. L’Opéra national de Lyon a choisi comme spectacle de fin d’année l’oratorio Elias de Mendelssohn, dans la production créée en 2019 par Calixto Bieito au Theater an der Wien (Vienne) – dans la même veine, il signait La resurrezione d’Händel à Mannheim [lire notre chronique du 11 juillet 2023]. L’opus est donné sans entracte, les rares premières tentatives d’applaudissements à la fin des airs se calmant rapidement pour laisser l’auditeur goûter la partition dans sa continuité.

Le spectacle commence bien, avec Elias seul qui tire à la force de ses bras une église sur le plateau, rappelant ou installant le caractère religieux de la pièce qui se développe autour de la vie du prophète évoqué dans l’Ancien Testament. Fumée et intenses lumières blanches parviennent du fond et envahissent la scène, ainsi que la salle. Les chœurs émergent, dans une grande force vocale collective, tandis que la musique revêt d’emblée un beau relief, une majesté lyrique portée, en particulier, par les pupitres de cuivres. Puis les choristes se mettent à tourner autour de l’église – DIEU est écrit sur le toit pour ceux qui auraient des doutes –, un Hilf, Herr ! qui produit de beaux effets acoustiques. Ils démontent bientôt le bâtiment miniature, déchirant jusqu’en petits morceaux les surfaces de carton, dans une violence bien en ligne avec le texte de la pièce (« Je suis un Dieu jaloux, qui punit la faute des pères sur les enfants de ceux qui me haïssent jusqu’à la troisième et quatrième génération »). Curieusement, même les deux bonnes sœurs présentes parmi la foule s’y mettent avec une méchanceté visible, avant que l’Ange entre en scène, à côté d’un Elias en transe qui lui caresse les ailes.

Très loin d’une éventuelle reconstitution historique, le décor de Rebecca Ringst est actuel, soit trois séries d’alignements de caillebotis métalliques, posés au sol, d’autres suspendus aux cintres, ainsi que huit autres qui peuvent être relevés à l’oblique ou à la verticale. Ces derniers panneaux descendent et montent en fin de représentation, annonçant les menaces imminentes qui pèsent sur le prophète… mais qui peuvent aussi évoquer des mécanismes de fête foraine. C’est surtout le personnage omniprésent au caractère comique qui produit un contraste à peu près permanent avec l’oratorio qui progresse, et avec sa spiritualité. Cette femme-clown à chapeau melon, qui ressemble de près à la Giulietta Masina du film La strada de Fellini, s’agite constamment, se moque, singe ses collègues, fait des grimaces, cherche parfois la bagarre, produit un décalage qui amène rapidement la saturation chez le spectateur. Sa participation à Hebe deine Augen auf zu den Bergen, le magnifique trio féminin a cappella en seconde partie, forme d’ailleurs un relaxant oasis de sérieux au sein d’une agitation continue. Un peu plus tard, le quatuor féminin Heilig, heilig, heilig ist Gott est aussi fort beau, très solennel, mais, tandis que l’oreille perd malheureusement en concentration, l’œil est attiré par la surexcitation de la Reine avant son suicide avec une cravate… pas d’inquiétude, elle s’en relèvera quand même quelques minutes après ! Au titre d’autres passages surprenants, le long baiser à pleine bouche entre Elias et l’Ange, en fin de première partie, peut laisser songeur.

Quant à elle, l’oreille est à la fête, sans retenue.
Il faut d’abord citer le Chœur de l’Opéra national de Lyon, acteur principal de l’oratorio, tant sont nombreuses ses sollicitations. Préparé par Benedict Kearns, l’ensemble se montre idéalement homogène et précis rythmiquement, capable d’une gamme très étendue de nuances, entre plainte, jusqu’au quasi-chuchotement, et colère. Pris individuellement, chaque pupitre fait preuve de maîtrise, des aigus atteints et tenus avec justesse pour les sopranos aux moelleux des ténors, lors des passages doux.

Dans sa tenue de ville, comme le reste de la distribution, le baryton-basse Derek Welton a une allure de Monsieur-tout-le-monde en Elias, renforçant le caractère humain du prophète. Il assume vocalement le rôle, faisant preuve d’abattage et de projection, même si l’on sent qu’il fatigue un peu en fin de représentation, avec quelques sons fixes et une justesse un peu moins parfaite [lire nos chroniques de Parsifal à Salzbourg puis à Bayreuth, Les Huguenots, Le prophète, Lohengrin, Das Rheingold, Lear, Das Wunder der Heliane, Elektra et Der Schatzgräber]. En Ovadyah le ténor Robert Lewis monte facilement dans l’aigu, dans un style régulièrement doloriste bien en situation [lire nos chroniques de Tannhäuser, Hérodiade, Die Frau ohne Schatten et Adriana Lecouvreur]. Côté féminin, on est le plus impressionné par le timbre profond de Beth Taylor en Reine, d’une fureur parfois projetée avec exubérance [lire nos chroniques de La bella addormentata nel bosco et d’Il ritorno d’Ulisse in patria], aux côtés de l’autre mezzo-soprano Kai Rüütel-Pajula en Ange, d’une voix davantage ferme qu’éthérée [lire nos chroniques de The turn of the screw, Otello à Anvers puis à Londres, Le joueur et Der Schmied von Gent]. En Veuve qui partage son malheur avant la résurrection de son fils, Tamara Banješević déploie un soprano puissant [lire notre chronique d’Ariodante].

Constantin Trinks [lire nos chroniques de Tannhäuser à Strasbourg et à Francfort, Das Liebesverbot, Salome et L’ange de feu, ainsi que de son concert au Festival Berlioz] dirige l’orchestre maison qui se révèle en grande forme, libérant toute sa force dans plusieurs tutti éclatants, mais sachant aussi doser les décibels en relation avec la situation dramatique. On l’a dit précédemment : nombreuses sont les belles séquences, instrumentales ou chantées en airs, duos et ensembles divers.

IF