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Chroniques
Elliott Carter, deuxième chapitre
Peut-être plus que celui d'aucun autre, le style d'Elliott Carter a subi de véritables métamorphoses. Comme celui du concert de la veille [lire notre chronique], le programme de cette seconde journée de festival saura en rendre compte. À commencer par le récital du soprano Lucy Shelton. Cette artiste, qui participe activement à la création en prêtant sa voix à de nombreux compositeurs tout en servant un vaste répertoire, connaît bien l'œuvre de Carter qu'elle a souvent interprétée. Elle présente ici la première manière qu’eut Carter de concevoir la mélodie, avec The Rose Familly et le bref Dust of Snow sur des poèmes de Robert Frost, écrits en 1942, et Voyage de 1943 (texte de Robert Crane). On y perçoit l'influence de l'école française, épousant l'héritage américain (principalement Ives).
La voix jalonne tout le parcours cartérien, avec quelques pages dès 1938, les grands cycles comme A Mirror on Which to Dwell (1975), Syringa (1978), In Sleep, in Thunder (1981), entendu hier, et jusqu'à l'opéra What's next ? (1999). Afin de mieux révéler la situation de cette musique, le récital se poursuit avec cinq mélodies de Gabriel Fauré dans lesquelles la chanteuse n'est pas toujours à son avantage. En revanche, celles de Charles Ives bénéficient ensuite d'une interprétation passionnante, traversant un choix diversifié de songs. On apprécie les talents de diseuse de Lucy Shelton, sa facilité à captiver l'attention, à évoquer des univers contrastés, parfois à l'exquise limite du théâtre. La pianiste Florence Millet, qui soutient le chant d'un accompagnement tant précis que sensible, donne ensuite Two Diversions pour piano solo, écrites en 1999, affirmant un jeu d'une grande clarté. Enfin, les deux musiciennes se retrouvent dans le cycle Of Challenge and of Love, que Carter écrivit il y a une dizaine d'années, d'une toute autre facture que les première mélodies. Après cette lecture nuancée et pleine d'esprit, elles livrent généreusement deux bis.
Obéissant au même souci de cohérence, le menu de la soirée est ouvert par la Sonate pour violoncelle et piano de 1948 avec laquelle Carter confronte Schönberg mélodiste au rythmique Stravinsky. Malencontreusement, l'interprétation peu nuancée et parfois brutale d'Olivier Peyrebrune au piano ne permet guère d'apprécier le travail de Raphaël Chrétien au violoncelle. Des Huit pièces pour quatre timbales, nous entendons Improvisation, Saeta, Canaries et March, très précisément servies par la maestria d’Yvon Robillard, faisant sonner tout le travail sur le son, la métrique, tout en rendant compte du regard porté sur l'histoire de cet instrument. Quant au Schönberg qui put féconder la partie de violoncelle de la Sonate, c'est Julien Le Prado qui le présente, avec un Opus 23 finement nuancé dont le chant est menéusqu'à l'évidence, rappelant que le compositeur poursuivait à sa manière une longue tradition allemande.
Pour finir, Jean-Louis Basset dirige Triple Duo pour six musiciens – Yvon Quénéa à la flûte, Sylvie Manautines à la clarinette, Guillaume Cubéro au violon, Alexis Descharmes au violoncelle, le percussionniste entendu juste avant et Marie-Pascale Talbot au piano –, une œuvre réalisée en 1983, presque toujours tendue, exigeante et éprouvante pour les instrumentistes auxquels elle n'accorde qu'un bref Lento central dans une succession infernale de tempi vifs. L'interprétation s'avère contrastée, violente même, tout en livrant avec beaucoup de soin certains équilibres difficiles.
BB