Chroniques

par bertrand bolognesi

Emőke Baráth et Tim Mead
Christina Pluhar dirige L’Arpeggiata

Cazzati, Mealli, Monteverdi, Pergolesi et Sances
Les Grandes Voix / Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 18 janvier 2017
le jeune et très talentueux soprano hongrois Emőke Baráth
© zsófia raffay

La saison Les Grandes Voix se poursuit avenue Montaigne : après le très public récital Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna, avec Giorgio Croci à la tête de l’Orchestre de Picardie [lire notre chronique du 9 janvier 2017], la série consacre cette soirée au répertoire baroque et accueille un aréopage sans doute moins excitable. La célèbre théorbiste Christina Pluhar et son ensemble L’Arpeggiata retrouvent Paris où accompagner deux jeunes voix que l’on suit avec beaucoup d’intérêt depuis quelques années déjà. Vous rappelez-vous Tim Mead ? Nous applaudissions le contre-ténor en Idelberto, Ottone et Andronico des händéliens Lotario, Agrippina et Tamerlano [lire nos chroniques du 15 juin 2005, du 8 octobre 2011 et du 11 juillet 2012]. Quant à Emőke Baráth, elle nous convainquit en Scylla (Jean-Marie Leclair, Scylla et Glaucus), en Elena (Francesco Cavalli, Elena), en Poppée et Eurydice (Claudio Monteverdi, L’incoronazione di Poppea et Orfeo) [lire notre critique du CD, ainsi que nos chroniques du 9 juillet 2013, du 16 août 2012 et du 17 janvier 2014], sans oublier le Gloria de Poulenc que le jeune soprano hongrois magnifiait à Lyon il y a une dizaine de jours [lire notre chronique du 7 janvier 2017].

C’est précisément par Monteverdi que s’ouvre ce concert, avec la Toccata d’Orfeo infléchie avec élégance plutôt qu’éclat, en petit comité. La tendresse des cordes introduit idéalement l’air de la Musique (Prologue), sensiblement servi par Emőke Baráth, d’abord avec un brio certain, puis dans un raffinement de plus en plus prégnant et nuancé. Christina Pluhar prend son instrument pout la Ciaccona de Maurizio Cazzati, avant de retrouver Monteverdi pour L’incoronazione di Poppea, enchaînant dans la foulée le duo Pur ti miro qui fait goûter la rondeur de timbre de Tim Mead en Néron amoureux d’une Poppée infiniment claire, le sentiment se fondant en un « tesoro » d’une gravité spirituelle. Alternant des extraits de l’opéra à des pages empruntées aux Madrigali guerrieri e amorosi ou aux Scherzi musicali, cette première partie varie les plaisirs. La danse chantée Damigella, tutta belle impose une verve joueuse qui séduit (en duo, là encore). La légèreté de la partie instrumentale laisse aller l’expressivité dolente du gracieux soprano dans Si dolce è’l tormento, dans l’écho duquel survient l’Oblivion soave d’Arnalta (L’incoronazione) dont on admire la précision et la présence de Tim Mead, ainsi que des tenues d’une stabilité confondante.

Une sonate de Giovanni Antonio Pandolfi Mealli ponctue le programme avec une fantaisie et une bonne humeur communicative (La vinciolina). « Amor, dove, dov’è la fé che’i traditor giurò ?... » : le parlar’ cantando du poignant madrigal Lamento della ninfa est superbement rendu par la chanteuse. Dans le truculent Zefiro torna, ornements et vocalises révèlent une agilité sans faille, le contre-ténor gagne de l’éclat tandis qu’Emőke Baráth se distingue par une sorte d’humanité heureuse. Il lui revient de conclure le premier épisode par deux pages sacrées, figures de transition vers la suite, quittant l’italien pour le latin de l’église. Tout d’abord le Romain Giovanni Felice Sances avec un Stabat Mater d’une douceur indicible et bientôt tout à fait dramatique – reprise à l’infini, cette obsédante chute chromatique invite le théâtre sous la voûte. Une improvisation du clavecin fait lien avec l’envolée radieuse et fraiche du Laudate Dominum de Monteverdi, petite merveille bondissant dans une liesse illuminée.

Alors qu’ils occupaient un arc de cercle égaillé sur la scène, les musiciens de L’Arpeggiata se rassemblent pour le Stabat Mater de Pergolesi, formant un cœur de plateau qui concentre le son en une source homogène. Tim Mead domine magistralement la première séquence, prise en un tempo qui va bon pas. À la reprise, Emőke Baráth retrouve son énergie, mais quelques inexactitudes d’intonation se glissent dans la ligne de chant, suggérant que peut-être la première partie du concert aurait pu durer moins afin de préserver la souplesse de la voix. Cela n’empêche pas un Cujus animam gemetem flamboyant ! Après le lamento recueilli du duo O quam tristis, la prestesse de Quae moerebat et dolebat surprend, le contre-ténor réussissant à s’y montrer aérien. Mais cela ne dure pas : à partir de Quis est homo, la justesse n’est plus de la partie, pour les deux voix. C’est dommage, mais il semble qu’un soutien trop aléatoire malmène les repères de nos chanteurs. Cessons ici le détail d’une exécution qui va se dégradant. C’est dommage.

Le prochain rendez-vous Les Grandes Voix ? Anna Netrebko et Youssif Eïvazov en soirée de gala, avec l’Orchestre national de Belgique dirigé par Jader Bignamini (27 février).

BB