Chroniques

par jérémie szpirglas

Emerson, roi de Chosta’

Biennale de Quatuors à cordes / Cité de la Musique, Paris
- 12 janvier 2010
le Quatuor Emerson photographié par Mitch Jenkins
© mitch jenkins

Si l’on ne considère que les compositeurs au programme, on pourrait penser que cette quatrième Biennale de Quatuors à cordes s’ouvre en grande pompe : Schubert, Dvořák, Chostakovitch… Nous voilà devant le grand quatuor romantique à trois étapes essentielles de son histoire, de ses prémices classico-romantiques post-beethoveniennes à sa décadence pleine de superbe et de déchirement venue de la terreur soviétique. Toutefois, à bien regarder les œuvres jouées, nous marchons plutôt à côté de l’artère principale, en parallèle, sur un chemin de traverse : le Quatuor n°11 de Schubert n’est pas la Jeune fille et la mort ni l’immense et ultime Quatuor n°15. C’est une partition modeste, au charme et à la verve haydnienne, par bien des aspects. Bien que commencé aux Etats-Unis et achevé en Bohème (comme nous le prouve son jouissif final), le Quatuor n°14 de Dvořák n’a ni l’élégance ni le souffle du Quatuor américain. Enfin, le Quatuor n°9 de Chostakovitch n’est pas aussi monumental que son précédent, chef-d’œuvre ultraconnu : il est à la fois plus positif et plus distancié. Bref, si les trois noms sont emblématiques, les trois partitions le sont moins. Moins connues, elles exigent également d’être servies avec deux fois plus d’attention – ce que l’on est d’ailleurs en droit d’attendre du Quatuor Emerson, l’un des remarquables ensembles ici invités.

Bien connu pour ses admirables performances dans la musique du vingtième siècle, avec notamment des Webern et une intégrale Chostakovitch de référence, le Quatuor Emerson laissera ce soir en bouche, toutefois, un léger arrière-goût de déception. Dans Schubert, des phrasés forcés, des vibratos très courts et des chants sans ampleur contraignent le son, étouffent les timbres. Ce qu’on aimerait large, ample et libre devient tendu et petit. Dans Dvořák, à la faveur d’un échange de premier violon, l’ensemble regagne sa spontanéité, son ardeur, sa respiration, mais la précision du jeu en pâtit : justesse et virtuosité lui font parfois défaut.

Tout retournera dans l’ordre, bien heureusement, dans Chostakovitch, dont les quatre compères nous offriront une lecture irréprochable, au lyrisme romantique, contenu et contrasté. La tension qui gâchait le charme du petit quatuor de Schubert trouve ici sa justification, et le naturel qui se dégageait du Dvořák fait des merveilles. Le grain du son, tour à tour grave, profond ou fébrile, force l’admiration, de même que les phrasés déclamatifs et solitaires des mouvements lents.

En guise de bis, les Emerson concluent sur une charmante chanson de Dvořák, arrangée pour quatuor par le compositeur. D’une beauté simple, pastorale et pittoresque, elle est par eux pur ravissement.

JS