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Chroniques
Emilio Pomarico dirige le Frankfurter Rundfunk Sinfonierchester
Neither, opéra de Morton Feldman (version de concert)
Trente ans après sa création à Rome le 10 juin 1977, Neither arrive enfin en France, livré par l’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort (Frankfurter Rundfunk Sinfonierchester) sous la direction d’Emilio Pomarico. Cet opéra en un acte pour soprano (limité à son registre aigu) et orchestre suit la rencontre berlinoise de Morton Feldman et Samuel Beckett quelques mois plus tôt, en septembre 1976. À l’époque, l’Américain recherche des textes du gabarit de ceux de l’Irlandais, pour lesquels la musique ne serait ni additionnelle, ni illustrative. Avouant son manque de goût pour l’opéra, Beckett ne comprend pas trop quel genre de livret recherche le musicien, mais finit par lui faire parvenir un texte d’une centaine de mots.
To and fro in shadow from inner to outer shadow
from impenetrable self to impenetrable unself by way of neither
etc.
Ces images de va-et-vient, de départ et de retour, de passages et de portes conduisent à une épure de théâtre lyrique, dénué de toute finalité. « Le sujet de cet opéra, explique Feldman, c’est que notre vie est encadrée par des zones d’ombre tout autour de nous, et il nous est impossible de voir à l’intérieur de l’ombre ». De fait, l’existence lui semble réduite à un balancement entre les ombres de la vie et de la mort. En ce qui nous concerne, les prémisses de l’ouvrage évoquent un décollage qui ne parviendrait pas à une réelle élévation. Face à l’importance du silence et de sons silencieux, Laurent Feneyrou remarque : « Sa musique est toujours à la limite, sur le point de se taire et sur le point de dire, mais ne se tait guère et ne dit presque rien ».
On trouve peu de tutti ici (et certainement pas f) mais une prédominance de moments chambristes : quintette d’altos, trio de basson qui reprennent une note émise par trois hautbois, dialogue d’un violoncelle avec un gong à peine frôlé, etc. L’étonnement n’est jamais très loin, lorsqu’un trombone ou un violon revêt des couleurs d’orgue électrique ou qu’on se prend à chercher sur scène une guitare qui n’existe pas. Pour une fois, ne regrettons pas une création française en version de concert, imaginant aisément ce qu’au fond de la fosse certains sons pourraient devenus. Peinant quelquefois sur les vocalises de la partie centrale (la bouche est sèche), Anu Komsi est plus à l’aise avec le final qui demande lyrisme et ampleur.
LB