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En temps de guerre et de paix
19h45. Le public trépigne d’impatience devant les portes du Théâtre des Champs-Élysées, désespérément closes… Que se passe-t-il donc ? Nouvelles mesures de sécurité ? Annulation du concert ? La semaine dernière, Joyce DiDonato avait déjà renoncé, pour raisons de santé, à l’étape parisienne de sa tournée de l’Ariodante de Händel. Non, il s’agit plutôt d’une sorte de mise en condition du spectateur, happening préalable au programme En temps de guerre et de paix, illustration vibrante de l’album éponyme paru l’automne dernier.
Finalement arrivés à l’intérieur de la salle de l’avenue Montaigne, nous découvrons une scène inondée de fumée qui semble avoir subi des dégâts liés à quelque désastre qu’accompagnent des rumeurs de déflagrations inquiétantes. Si une garde-robe de fortune et des pupitres sont installés pour accueillir les instruments d’Il Pomo d’Oro, au premier plan l’on voit deux figurants – un homme roulé en boule à terre et, au fond, assise, une femme en crinoline, ou du moins ce qu’il en reste, passablement amochée. Une enveloppe a été déposée sur chaque siège. Elle contient, une carte rédigée en langue anglaise par le mezzo nord-américain qui propose un plaidoyer pour la paix, dans ses temps sévèrement troublés par le terrorisme et l’insécurité.
Dès les premières mesures, la figurante se lève. C’est la diva, elle-même, qui patientait sur le plateau, attendant le début de la représentation. En vraie tragédienne, elle attaque avec fougue et rage, les Scènes d’horreur et de malheur extraites de Jephta d’Händel. Le figurant se lève et se met alors à danser : il s’agit du chorégraphe et danseur Manuel Palazzo, torse nu en jupe longue, façon soufi, qui accompagnera la chanteuse dans son parcours dédié d’abord à la guerre, puis, après l’entracte, à la Paix. Ralf Pleger assura la mise en espace et c’est le vidéaste Youssef Iskandar qui a réalisé projections et vidéos.
Autant le dire sincèrement, ni les gesticulations du danseur, ni les projections ne convainquent. Elles tentent maladroitement de servir le discours engagé de la diva. Elles ont l’avantage de permettre à Joyce DiDonato de proposer les deux parties sans être interrompue par des applaudissements intempestifs qui couperaient son propos. Au mieux, c’est décoratif ; au pire, agaçant…
Très en vogue, l’ensemble baroque Il Pomo d’Oro est irréprochable, lui, dirigé d’une main de maître par le claveciniste Maxim Emelyanychev. Le jeune chef n’hésite pas à jouer et diriger d’un cornet à bouquin alto pour la Sinfonia de la Rappresentatione di anima e di corpo de Cavalieri.
Joyce DiDonato est dans une forme exceptionnelle.
Jamais, sa voix n’a paru mieux projetée, puissante et ronde. Sa proverbiale technique est superlative et fait merveille dans un ambitus d’exception. On est loin de la déception qu’avait eue le public munichois avec Semiramide de Rossini, il y a quelques mois, ou de sa Charlotte (Werther de Massenet) qui avait divisé le public, ici-même, au printemps dernier [lire notre chronique du 9 avril 2016]. C’est que tout simplement, entre découvertes et tubes, son choix d’airs baroques lui va comme un gant. Par rapport à l’enregistrement paru l’an dernier, le mezzo originaire du Kansas n’a cessé de travailler sa voix précieuse, comme un orfèvre l’or. Le résultat est saisissant : en témoignent la superbe et naturelle messa di voce qui introduit Pensieri, voi mi tormentate d’Agrippina (Händel) ou les incroyables coloratures acrobatiques d’Augelletti che cantate d’Almirena du même Caro Sassone. Jamais elle ne cède à des vociférations ou notes forcées, même si, dans la première partie, les arie peuvent être belliqueuses, voire désespérées.
Dans l’air superbe d’Andromaque, Prendi quel ferro, o barbaro, Leo, compositeur oublié contemporain d’Händel, lui permet de subjuguer un public à genoux, tout comme les extraits d’Attilio Regolo de Jommelli. Elle excelle aussi pour les tubes baroques tant fréquentées par ses consœurs, comme When I am laid in earth, la déploration de Didon (Purcell), Lascio ch’io pianga de Rinaldo ou les airs de Giulio Cesare in Egitto. La tragédienne fait place à une enchanteresse avec le même engagement, faisant la part belle à Händel, alternant avec Purcell, Leo et Jommelli.
En bis, elle offre un air de bravoure de Jommelli extrait d’Attilio Regolo, Par che di giubilo, présent dans son album. Suit un très bouleversant discours sur les conditions de la conception de ce spectacle. On y apprend que le choc de l’attentat du 13 novembre 2015, à Paris, l’a inspirée. Joyce DiDonato évoque avec beaucoup de simplicité et d’émotion, en français, les inquiétudes et les angoisses que nous vivons au quotidien. Elle croit à notre rédemption par l’harmonie de la musique, vecteur de paix. En témoigne le Lied Morgen de Richard Strauss, cadeau qu’elle interprète avec toute la sensibilité et la tendresse requises, malgré un accompagnement fort étrange sur instruments anciens.
MS