Chroniques

par gilles charlassier

Ensemble Aedes, Mathieu Romano

Cité de la Voix, Vézelay
- 9 et 10 mars 2019

Ainsi que François Delagoutte, le nouveau directeur de la Cité de la Voix à Vézelay, arrivé au printemps dernier, le rappelle en incipit de l’éditorial de cette première édition du festival Elles chantent, composent, dirigent, « peu nombreux sont les noms de femmes dans la musique qui viennent au bout des lèvres ». Ce nouveau rendez-vous entend contribuer à la réparation des négligences de l’Histoire et de l’insuffisante représentation de la gent féminine dans le paysage musical actuel, et partant, à la pluralité des expressions dans ce panorama, sans se soumettre aux réductions polémiques sur le genre. En s’associant au Pôle Voix du Lab et à Franche-Comté mission voix, cette aventure pose par ailleurs un premier jalon vers « l’union des trois structures [vocales de la grande région Bourgogne-Franche-Comté] autour d’un projet commun à l’horizon 2020 ».

Si la manifestation Elles se déploie sur l’ensemble du territoire tout au long de ce mois de mars, le point d’orgue est le week-end à Vézelay, opportunément choisi à l’heure de la Journée mondiale de la Femme, le 8 mars. Son programme illustre cette dynamique mêlant concerts et tables rondes. Ainsi, le samedi 9 est-il ouvert par une rencontre autour du livre publié par les éditions MF en collaboration avec le Centre de Documentation de la Musique Contemporaine, Compositrices, l’égalité en acte, qui fait un état des lieux de la création musicale côté féminin, au travers de portraits comme d’études plus transversales. Un concert de l’Ensemble Aedes, en résidence à la Cité de la Voix, clôt l’après-midi. Un œil malicieux signalerait que si les membres du chœur sont exclusivement féminins, au diapason de la thématique festivalière, la direction est masculine, en la personne de Mathieu Romano. Le spicilège présenté se distingue par une habile scénographie, étoffant progressivement les effectifs, jusqu’à l’octuor, également réparti entre sopranos et mezzos, secondé par le piano de Bianca Chillemi, lequel s’acquitte de quelque intermède,Musettes, puisé dans le recueilEn plein air de Bartók.

Le dénuement solitaire de l’Hymne à la pieuse Pélagie de Kassia inaugure un voyage mêlant raretés et pages célèbres. La clarté et la respiration ample se retrouve dans le Duds of Emerald de Paola Ciarlantini, puis, après le babil du clavier, dans Soir d’hiver de Nadia Boulanger, empreint d’une délicatesse sensuelle, perceptible encore dans le Duo d’étoiles de Cécile Chaminade, avant la déploration introvertie de Coronach D.836 de Schubert. Les gosiers ont déjà atteint la taille du quatuor, et la transcription d’une page reconnue jusque sur le cinématographe, Diamonds are a girl’s best friend, de Nicholas Hare, fait rayonner un sourire ironique dans une maîtrise impeccable de la facture rythmique, qui vient enrichir un instinct évident de la couleur et de la pureté expressive. Le Cor moi, deh, non languire d’Alessandro Scarlatti,a cinque, introduit une nouvelle rupture d’affect. Il se concentre dans une belle intériorité méditative qui éclot, avec l’arrivée d’une voix supplémentaire, dans le Salut Printemps de Debussy, frémissant d’une élégance au service de la lisibilité polyphonique.

Les quatre dernières pièces réunissent enfin les huit interprètes. Extrait des Friday afternoons de Britten,Old Abram Brown psalmodie un glas avant deux évocations hispaniques de Rautavaara, par les deux premiers mouvements de la Suite de Lorca. Sur un texte de Florence Delay, la commande Elles de Patrick Burgan tresse une subtile suggestivité narrative, galbé dans un rubato discret et efficace. America, de la suite bien connue que Bernstein a tirée de West Side Story, conclut sur une réjouissante jubilation vocale, à même de faire honneur à une célébration des voix dans toute la diversité de leurs incarnations.

Le lendemain matin, dimanche, Claire Gillie, psychanalyste, livre une stimulante communication qui fait explorer la multiplicité des avatars de la voix, jusque dans leurs résistances intimes, avant de découvrir, après déjeuner, les lauréates du dernier concours d’ensembles amateurs d’Ornans, Les Voyageuses, dans une éclectique errance de notes et de cultures, confirmant combien Vézelay se place à la croisée des cordes féminines – et pas seulement.

GC