Chroniques

par gilles charlassier

Ensemble Diabolus in musica
musique des papes en Avignon au XIVe siècle

Musique baroque en Avignon / Palais des papes
- 12 novembre 2016
Le Palais des Papes en Avignon, peint par Paul Signac en 1900
© léonie noyons, 2009 | paul signac – le château des papes à avignon, 1900

Souvent sollicitées pour des dividendes essentiellement touristiques, les ressources du patrimoine architectural et historique demeurent pourtant trop négligées. Aussi ne peut-on que saluer l'initiative du festival Musique baroque en Avignon de présenter, en partenariat avec l'Opéra de la préfecture vauclusienne, un programme consacré à la musique écrite au temps de la papauté provençale dans le lieu où elle retentit pour la première fois, la Grande chapelle clémentine du Palais des papes, parée, en cette soirée de novembre, d'une indéniable magie que ne vient point entamer l'inévitable fraîcheur de la saison.

C'est à l'ensemble Diabolus in Musica qu'échoit l’honneur de faire revivre un aperçu des grandes heures du Moyen Âge provençal. Le présent spicilège met en avant la période charnière dans l'évolution de la polyphonie qui voit le développement de l'Ars Nova, renouvelant les codes stylistiques établis, sans négliger l'autre tradition, celle du plain-chant. Puisant dans divers fonds où furent dispersés les manuscrits de la chapelle papale, Antoine Guerber et ses six comparses ressuscitent des pages qui parfois n'avaient plus été entendues depuis le XIVe siècle.

La Messe à trois livrée en ouverture illustre le raffinement musical de la cité avignonnaise. Le magnifique Kyrie augural, repris d'ailleurs en bis, répartit les voix en deux chœurs de trois voix jouant d'effets de répons, tandis que la partie de ténor dessine de fascinants motifs vocaliques. Le Gloria a sans doute un relief moins original. Du Credo vers l'Agnus Dei en passant par le Sanctus, la liturgie opère une décantation progressive, permutant les effectifs au gré de l'expression religieuse.

Le premier des cinq motets retenus, Aurea luce, en plain-chant, nous vient du fond de la nef, comme l'autre page écrite selon le même procédé, l’antienne responsoriale Ecce sacerdos magnus, et affirme une évidente homogénéité, empreinte d'intériorité. Reprenant ce que renseigne l'histoire des lieux, la disposition s'y révèle favorable, réservant la polyphonie pour l'autre configuration, plus médiane. De Philippe de Vitry, remarquable figure de l'époque, on appréciera les harmonies du Firmissime fidem teneamus, quand le Petre clemens déploie une riche architecture à six voix. Mentionnons également l’intéressante facture du motet-conduit Deus in adjutorium meum intende (à trois).

Comme pour la première, la seconde messe, à quatre cette fois, met les six solistes du consort face à leur directeur musical. Plus encore que dans les pages précédentes, la partie des deux ténors, moins esclave de la joliesse du timbre que les habitudes d'écoute formées ultérieurement (qui se succèdent tour à tour sur la tribune), assume la déclamation, soutenue par un contrepoint des registres plus graves, avec une basse parfois réduite à des mélismes onomatopéiques. Du Kyrie au Gloria, puis du Credo au Sanctus, les séquences varient sans doute moins que l’autre office la construction formelle. Dû à Heinricus de Libero Castro, un Agnus Dei referme ce voyage hors du temps sur des tonalités d'éternité loin de la dramatisation de la souffrance christique qu'offrira l'âge baroque. À défaut de remonter l'inéluctable course des siècles, la science des interprètes restitue au plus près de sa pureté originelle la conception holistique de l'art musical à la cour des papes d'Avignon.

GC