Chroniques

par laurent bergnach

Ensemble Intercontemporain
création de Fanfare chimérique d'Unsuk Chin

Centre Pompidou, Paris
- 15 avril 2011
la compositrice Unsuk Chin
© dr

Outre la géométrie, on peut dire que c’est la figure de György Ligeti qui domine ce concert nommé Lignes-Surface – le troisième des quatre que donne l’Ensemble Intercontemporain en ce mois d’avril, au retour de sa tournée européenne des semaines passées [lire notre chronique du 11 mars 2011] : en effet, le créateur inventif et facétieux, qui ouvre le programme avec une œuvre quarantenaire, a été le professeur « excentrique et excessivement sévère » de la Coréenne Unsuk Chin (à l’Académie de Hambourg, de 1985 à 1988), laquelle clôt la soirée. Sur celui qui lui fit mettre au rebut toutes ses pièces antérieures, trop marquées d’influences, elle précise :

« J’ai cessé de composé pendant trois ans, mais j’ai fini par me rendre compte que, d’un point de vue musical, il avait vu juste. Ça m’a aidé à trouvé ma voix propre. Ligeti était toujours un critique acerbe du travail des autres – mais il était aussi très exigeant envers lui-même. Je suis toujours étonnée par la capacité qu’il a eu, à plus de soixante ans, à changer radicalement et à élargir son style […]. Son approche de la composition était celui d’un scientifique. Lorsqu’il avait épuisé les possibilités d’un concept, il passait au suivant ».

C’est dans la ville où Dürer naquit cinq cents ans auparavant, à Nuremberg, que Melodien est créé le 10 décembre 1971. Si Ligeti était dans un laboratoire de chimie, il aurait débuté sa partition par une émulsion, quelque chose de mousseux, léger et rond – comme ces notes qu’on retrouve égrainées au célesta puis au piano. Des nappes se forment ensuite, presque étales, avant qu’elles ne se disloquent, créant des aspérités singulières et râpeuses. Sous la conduite de Patrick Davin, cette entrée en matière pourtant sensuelle nous a malheureusement semblé froide et ennuyeuse.

« Toujours en recherche d’une musique qui soit à la fois plaisir et provocation », Torsten Herrmann (né en 1981) multiplie lieux d’enseignement et professeurs (Höller, Kyburz, Heiniger, Durieux, Dalbavie, Maresz, etc.). Nexus (2006) est conçu et créé à Damstadt, avec à l’esprit « l’image d’un ruban flottant librement au vent, irisé et miroitant ». Sur scène, huit musiciens livrent une partition moelleuse et agitée où les gazouillis de flûte dominent d’abord. Après l’intervention d’un piano qui a entendu Messiaen, fluidité et homogénéité s’atténuent au profit d’affirmations plus franches, jusqu’au coup de gong final.

Le 10 avril 1998, au Musée d’Unterlinden (Colmar), cinq membres de l’EIC faisaient découvrir Death of Light, Light of Death devant le Retable d’Issenheim qui l’avait inspirée. Chacun des cinq personnages de la Crucifixion peints par Grünewald y est décrit à tour de rôle, à l’aide de mouvements contrastés – la harpiste joue d’ailleurs du gong sur le « Stabat Mater » central. Multiphonique, le hautbois se mêle aux cordes avec des mugissements virtuoses sans cesse modulés. Dans un guide d’écoute paru à l’époque, Jonathan Harvey insiste sur l’« habileté très lyrique » d’un instrument dont les sons farouches et rugueux convenaient idéalement au projet.

Dans la lignée fantaisiste d’un Lewis Carroll qui l’a conduite à écrire son premier opéra [lire notre chronique du 14 juin 2010], Unsuk Chin (née en 1961) propose en création Fanfare chimérique. La combinaison évoquée par le titre n’est pas d’ordre mythologique ou génétique, mais bien artistique : ici, deux ensembles identiques de huit vents chacun – placés sur deux rangées espacées, avec un décalage (flûte I-1 = flûte II-5 ; cor I-5 = cor II-1 ; etc.) – sont spatialisés. À des climats riches et nuancés (rondeur ou grain des cuivres, fulgurance des bois), on peine à comprendre ce qu’apporte d’essentiel une électronique qui ondule, éclabousse puis s’envole.

LB