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Chroniques
Ensemble Intercontemporain
création française de Bereshit de Matthias Pintscher
Matthias Pintscher inaugurait son mandat à la tête de l'Ensemble Intercontemporain l’hiver dernier au Théâtre des Champs-Élysées à l'occasion d’un hommage à la création de Déserts d'Edgard Varèse [lire notre chronique du 10 février 2013]. Pour son premier concert officiel dans la grande salle de la Cité de la musique, le chef et compositeur allemand propose un programme en forme de carte de visite, alternant figures tutélaires du XXe siècle et modernité contemporaine.
La Fuga (Ricercata) a sei voci, extraite du musikalische Opfer BWV 1079, fait partie des œuvres « crépusculaires » de Johann Sebastian Bach. La forme contrepoint est d'une telle complexité qu'elle rend quasiment impossible l'exécution sur clavier. L'intérêt de la transcription pour orchestre d'Anton von Webern présente l'avantage de rendre lisible tous les éléments contrapunctiques et de greffer au « vieux style » finissant un anguleux sérialisme radical (qui s'en accommode fort bien, d'ailleurs). La Klangfarbenmelodie n'est pas encore entièrement dégagée de son carcan didactique, ce que la direction de Pintscher ne fait que confirmer. La juxtaposition et l'agencement des timbres ne profitent guère de l'espacement excessif des résonances. La partition prend une pose rigide dans un paysage diaphane et sans couleurs.
Two interludes and a Scene for an opera de Jonathan Harvey (2005) offre un beau contraste et démontre au passage les qualités de direction restées en berne dans la pièce précédente. L'œuvre se présente sous forme de triptyque, préfiguration de l'opéra Wagner Dream [à ce propos, lire notre entretien avec le compositeur]. L'argument évoque les derniers moments de l'auteur de Parsifal, alors même qu'il travaillait au projet de mettre en musique la vie de Bouddha dans un opéra resté à l'état d'ébauche : Die Sieger (Les Vainqueurs). La musique d’Harvey est fascinante par sa capacité à nourrir l'écoute à chaque instant, et ce malgré les stases temporelles qui ne suspendent jamais totalement le flux chatoyant. Paradoxalement, c'est l'épisode chanté qui retient le moins l'attention. L'amour impossible entre Prakriti et le moine Ananda ne sauve pas de l'oubli un livret assez plat et une écriture vocale peu inspirée. En revanche, on restera fasciné par les deux panneaux qui encadrent cette scène, depuis l'ébranlement initial avec dispositif électronique en temps réel, censé figurer la mort foudroyante de Wagner, jusqu'au dernier épisode, en expansion foisonnante et instable. On pénètre cette jungle sonore comme la forêt baudelairienne, parsemée de « vivants piliers » épars et variés.
La seconde partie s'ouvre sur l'interprétation-performance de Pierre Strauch dans la Sonate pour violoncelle de Bernd Alois Zimmermann (1960). On devine en ombre portée l'intimidante et involontaire confrontation avec les Suites pour violoncelle de Bach – ce qui crée une symétrie référentielle avec la première partie. La lecture de l'Ecclésiaste sert de motif à Zimmermann pour sa méditation sur le temps musical. Le matériau de gestes fragmentés crée une nébuleuse d'énergie et de rythmes d'une indéniable beauté plastique et musicale. Le sérialisme rigoureux irradie en quarts de tons une écriture de l'instant, mettant en tension continuité et interruption de la ligne. La flexibilité du temps offre une mobilité étonnante à l'auditeur qui ne peut saisir que des fragments volatils qui s'agencent progressivement et a posteriori en un ensemble cohérent d'une remarquable concision.
À l'Ecclésiaste répond l'ouverture de l'Ancien Testament chez Matthias Pintscher. Son Bereshit (2011-2013), donné ici en création française, renvoie à la formule initiale de la création et du commencement… précisément « à un commencement », comme pour rappeler l'étendue des possibles et ne pas tout ramener à une vision prédestinée. L'architecture « végétale » de l'œuvre renvoie à l'idée d'une croissance des éléments depuis le néant jusqu'à leur dimension aboutie. Le compositeur démontre son immense talent d'orchestrateur, jouant avec des alliages insolites, comme ce solo de harpe sur fond grommelant de clarinette-contrebasse et basson, ou ces tenues du violon, effilées et lumineuses. Le continuum s'étage progressivement jusqu'à former des zones de différentes densités, alternant affleurements et conglomérats de timbres.
DV