Chroniques

par bertrand bolognesi

Ensemble Profil, Tiberiu Soare
à la découverte de sept compositeurs roumains

Festivalului Internaţional George Enescu / Sala mică a Palatului, Bucarest
- 5 septembre 2015
le jeune chef Tiberiu Soare au Festivalului George Enescu 2015
© virgil oprina

Bien évidemment, la musique d’aujourd’hui n’est pas absente du Festivalului Internaţional George Enescu, loin s’en faut ! Outre d’y jouer les classiques du XXe siècle – dont une notable version de concert de Wozzeck (14 septembre) –, sa programmation réserve une part non négligeable à nos contemporains, comme en témoigneront Meta Arca d’Heinz Holliger, Sonorități șianemone I d’Ulpiu Vlad et le Quatuor n°2 de Vasile Herman (18 septembre), la Sonate pour piano de Valentin Timaru (13) ou encore Unu plus minus unu Op.148/154, opéra de chambre de Liviu Dănceanu (12), entre autres moments. Enfin, si son concours accorde un prix aux interprètes d’Enescu – l’an dernier furent couronnés le violoniste allemand Stefan Tarara, le pianiste espagnol Josu de Solaun et la violoncelliste sud-corréenne Eun-Sun Hong –, il en décerne également aux compositeurs.

Ce matin, nous découvrons l’ensemble Profil et son chef-fondateur Tiberiu Soare, un artiste présent au festival depuis l’édition 2005. Actuel directeur musical de l’Opéra national Roumain et chef principal de l’Orchestra Națională Radio, ce brillant musicien de trente-huit ans poursuit une carrière d’interprète et de découvreur de nouveaux talents tout en commençant une carrière internationale, puisque lui furent récemment confiés des concerts à la tête du London Symphony Orchestra, de l'Orchestre national d’Île-de-France, etc. C’est par Epitaphe pour Jorge pour clarinette et ensemble de Cornel Țăranu (né en 1934) qu’il ouvre cette matinée, une pièce qui offre au soliste Emil Vişinescu une remarquable souplesse d’articulation au fil d’une péroraison inspirée, recourant volontiers aux multiphoniques, dont l’accompagnement prend discrètement pour socle le fameux motif B.A.C.H. Une litanie méandreuse occupe la partie centrale de la pièce, tour à tour défendue par les cordes ou/et par la clarinette. Elle avance inexorablement vers une raréfaction définitive.

De la même génération qu’Horatiu Radulescu (1942-2008), plus connu chez nous puisqu’il s’était exilé à Paris, Călin Ioachimescu (né en 1949) est parfois lui aussi considéré comme l’un des premiers spectraux. Nous entendons la première roumaine du fort délicat Tetrachords, quatuor pour flûte, violon, violoncelle et piano. Un thème partage ses fragments au piano, à la flûte, au violoncelle, se trouve répété avec une légère modification par le violon, dans un système qui s’érige sur cette alternance, conjuguant des duos, des trios, etc., au fil de son développement, osant un clin d’œil (sans en abuser) via la citation d’un motif classique bien connu.

Place ensuite aux vainqueurs du Concours Enescu 2014. Le premier, Alexandru Murariu, né en 1989 à Deva (cité transylvaine située entre Bucarest et Timișoara), fut distingué en musique de chambre. El Niño est conçu pour flûte (avec piccolo et flûte en sol), clarinette (et clarinette basse), hautbois, cor, deux violons, alto, violoncelle, piano et percussion. Nous croisons là une verve essentiellement rythmique ordonnant une écriture en micro-intervalles qui induit une couleur « spectralisante ». Né la même année à Sinaia, dite « perle des Carpathes » (au nord de la capitale roumaine), le second s’appelle Sebastian Androne et obtint son prix dans la catégorie musique symphonique. Après avoir étudié à l’Université de Bucarest, il est rapidement sorti du territoire national pour parfaire son art en Allemagne, en Angleterre, en France et en Pologne auprès de Zygmunt Krauze, Bernard Cavanna, Peter Ruzicka et Jörg Widmann. Donné en création mondiale, son bref Karoshi II pour ensemble (à l’effectif précédent s’ajoutent basson, trompette, tuba et contrebasse) s’avère d’une explosive tonicité, percute la caisse des instruments à cordes, convoque quelques accents de jazz manouche dans un geste spectaculaire qui nous semble demeurer assez superficiel. Cette première partie de concert s’achève avec la création mondiale de Fairy Tales pour orchestre de chambre de Cristian Lolea (né en 1977) – l’un des professeurs d’Androne, d’ailleurs. À la fois vif et austère, cette page interroge plus profondément l’écoute qu’elle ravit dans ses mystères, au fil d’un parcours enrichi par un jeu non maniéré sur les timbres.

Il faut malheureusement avouer que la deuxième manche ne retient guère favorablement notre attention. Il s’agit de trois pièces concertantes mettant en vedette le piano, toutes trois jouées pour la première fois. Non sans un indéniable savoir-faire, Noema de Gabriel Iranyi (né en 1946, et dont Murariu et Androne furent les élèves), où Horia Maxim assure la partie solistique, visite sur le mode du bavardage Murail et Saariaho dans le souvenir de Maderna. Quant à Mihai Măniceanu (né en 1976), il s’est écrit Reductio ad absurdum, concertino pour piano et ensemble qu’il interprète lui-même – l’occasion de montrer ses talents d’instrumentiste dans une succession complaisante d’effet que ponctue la citation du Boléro de Ravel (clarinette)… Étroitement lié au chemin de Tiberiu Soare dont on apprécie la très grande lisibilité de la direction, à l’œuvre avec Profil qui révèle les qualités requises – il fut le professeur du jeune chef qui dirigea la création roumaine de son opéra Münchausen en 2004 –, le très prolifique Dan Deriu (né en 1967 à Brăila, port danubien de Valachie orientale, non loin de la frontière ukraino-moldave) est lui aussi au clavier avec son épouse Valentina Sandu-Dediu dans Hyperkardia IV (Daughter of Fulgor and Hyperkardia III) pour piano à quatre mains et orchestre de chambre… qui accuse le même travers.Notre mémoire se concentrera donc principalement sur les opus de Cristian Lolea et Cornel Țăranu.

BB