Chroniques

par bertrand bolognesi

Ercole amante | Hercule amoureux
opéra de Francesco Cavalli et ballet de Jean-Baptiste Lully

Festival d'Ambronay / Théâtre de Bourg-en-Bresse
- 28 septembre 2006
Ercole amante de Cavalli et Lully au Festival d'Ambronay
© patoch

Au printemps 1643, le destin appelle un Bourbon de cinq ans à régner sur la France ; en vérité, c’est Mazarin qui gouvernera dix-huit années durant, sous la régence d’Anne d'Autriche, de sorte que le jeune Louis, quatorzième du nom, ne prendra les pleins pouvoirs qu’en 1661, à la mort du cardinal. L’une des dernières missions menées par ce dernier fut la préparation d’une grande fête devant fastueusement célébrer le Traité des Pyrénées qui, à l’automne 1759, avait stabilisé la frontière entre les territoires espagnols et français, et les noces du roi avec la fille de Philippe IV, l’infante Marie-Thérèse – noces qui avaient scellé ledit traité au printemps suivant.

Pour l’occasion, l’architecte Gaspare Vigarani construisit un théâtre gigantesque – les écrits d’alors le présentent comme pouvant contenir sept mille personnes, une affirmation qui témoigne sans doute plus d’une enthousiaste volonté de propagande que d’une réalité objective – aux Tuileries, théâtre où sera représenté l’Ercole amante, un ouvrage réunissant quatre talents : le librettiste Francesco Buti, le Vénitien Francesco Cavalli pour la musique, le dramaturge et poète Isaac de Bensérade, coqueluche de la cour depuis des décennies (et à ce titre bientôt remplacé par Molière) se chargeant des entrées de ballets qui seront composées par Jean-Baptiste Lully. Le 7 février 1662, Paris voit donc la création de cet opéra-ballet d’envergure où la danse est assurée par la famille royale elle-même qu’entourent les demoiselles de l’aristocratie.

On le devine : les enjeux du spectacle dictèrent leurs contraintes, de sorte qu’aujourd’hui, l’œuvre nous semble assez confuse. Certes, on ne saurait la représenter sans rendre compte de son contexte, soit de sa fonction première de glorifier le jeune roi, sa naissance, sa politique, sa grandeur, ses alliances, etc. Une saine sagesse a cependant inspiré la réalisation présente, n’hésitant pas à opérer de nombreuses coupures dans un matériau qui, ainsi allégé, put paraître fort copieux encore.

Aux étudiants de l’Académie baroque européenne d’Ambronay, l’édition 2006 permet d’explorer cet Ercole amante, abordant ainsi tant la dimension musicale que chorégraphique du spectacle au XVIIe siècle. Outre la création d’une nouvelle production, cette semaine, à Bourg-en-Bresse, ils auront à assumer une tournée qui mènera l’histoire tourmentée des amours d’Hercule à Toulon, à Reims, à Besançon, etc.

Parmi ces jeunes gens, nous remarquons particulièrement le timbre charmant de la Diane d’Ingeborg Dalheim, la ferme Vénus de Lauren Armishaw et la plénitude de l’aigu de Maria Hinojosa en Junon. Si, en Hyllus, David Hernandez Anfrus semble parfois gêné par un impact naturel plus large que celui qu’impose le style, l’Iole d’Iulia Elena Surdu s’avère fiable et élégante. Après des débuts un rien entravés, la basse Ismaël Gonzales libère peu à peu un Hercule de belle tenue. Enfin, Jana Levicova en Déjanire s’impose comme la voix de la soirée : outre que l’écriture du rôle nous le rend plus proche, les moyens sont riches, l’émission est facile, la projection évidente et l’artiste use de ces qualités avec une incontestable présence scénique.

Pierre Kuentz conçut une mise en scène dont la sobriété demeure le principal atout, utilisant ingénieusement le délicat maniement de gracieuses voiles pour inventer sans cesse de nouveaux espaces de jeu sur une scène aux proportions pourtant réduites. Avec la complicité de David Messinger qui signe le décor, il fait évoluer les personnages dans un monde d’une grande poésie qu’ornent çà et là quelques discrètes fleurs de lys, dans une lumière savamment dosée – Adèle Grepinet. De même esprit, la chorégraphie d’Ana Yepes calcule sereinement ses effets, tandis qu’au pupitre, Gabriel Garrido apporte son savoir-faire et son énergie à l’ensemble.

BB