Chroniques

par laurent bergnach

Erik Satie – Mémoires d’un amnésique
spectacle d’Agathe Mélinand

Auditorium du Musée d’Orsay, Paris
- 7 avril 2016
Erik Satie – Mémoires d’un amnésique, pour comédiens et pianistes
© polot garat odessa

Si elle n’était rapportée un 1er avril par un quotidien dont la longévité fait suspecter le sérieux (Le Parisien, anciennement libéré, créé en 1944), l’information suivante tiendrait de la blague. Lors d’un récent conseil municipal à Arcueil, ville où repose Erik Satie (1866-1925), un élu Front National s’est opposé aux festivités liées au cent cinquantième anniversaire du musicien en ces termes : « je refuse que l’argent public serve à honorer un membre du parti communiste alcoolique ». C’est vrai que l’auteur de Socrate [lire notre chronique du CD] s’est encarté suite à l’assassinat de Jaurès et qu’il n’est pas mort de cirrhose à coups de limonade ; mais s’il fallait s’arrêter aux factures des bistrotiers, on renoncerait à rendre hommage dans un pays connu pour ses vignes… et ses comptes en Suisse. Non, Satie, c’est avant tout un homme qui invente, expérimente, transgresse.

Venu au piano grâce à une belle-mère qui l’enseigne, le jeune Éric-Alfred-Leslie peine à faire bonne impression au conservatoire où il entre par deux fois, sans convaincre. Une carrière d’autodidacte s’ouvre donc à lui après 1887, date où il s’installe à Montmartre. Là, il multiplie les rencontres (Mallarmé, Verlaine, Debussy) et tombe amoureux de Suzanne Valadon qui le rend à une « solitude glaciale » au bout de quelques mois. C’est sa seule liaison connue. Il continue d’écrire des pages sans barre de mesure, riches en glose personnelle, si bien qu’il créé la surprise, fin 1905, en rejoignant la Schola Cantorum où étudier le contrepoint – « j'étais las, dit-il, de me voir reprocher une ignorance que je croyais avoir, puisque les personnes compétentes la signalaient dans mes œuvres ». Dix ans plus tard, il collabore avec Cocteau et devient avec lui un guide spirituel des Six [lire notre critique du CD]. Il fréquente cubistes et dadaïstes qui confortent son sens de l’ironie et de la dérision. Sans fortune, vivant mal d’être accompagnateur au cabaret ou de danse au patronage, il s’éteint dans la misère, laissant ses amis découvrir un appartement où il n’avait jamais reçu personne.

Après une intégrale des pièces pour piano programmée du 2 février au 29 mars – avec Dehaene, Queffélec, Kadouch, Rogé, Sarkechik, Vincent et Wagner –, Orsay propose « un petit opéra comique sans lyrics », sur les routes depuis 2013. Spécialiste de musique légère (Offenbach, Chabrier), Agathe Mélinand l’a écrit et mis en scène, en s’appuyant sur des comédiens qu’elle connait bien : Emmanuel Daumas, Eddy Letexier, Jeanne Piponnier et Sabine Zovighian. Dans un foisonnement de projections chamarrées (images originales ou d’archives), d’accessoires pluri-usages (parapluie, échelle, etc.) et de chorégraphies minimalistes (« ballet des jambes », celui de l’homme-cheval), les grandes étapes de la vie de Satie alternent avec des (auto-)portraits farfelus ou de mini-conférences, toujours émaillés de mots d’esprit et d’aphorismes – dont le fameux « Passant, sois moderne ! », associé au Chat noir [lire notre chronique du 27 janvier 2005].

« La musique de Satie n’est jamais ennuyeuse, affirme la complice de Laurent Pelly, elle est au contraire pleine de surprises, de parodies, de citations, d’explosions. Tout en se permettant, au passage, d’inventer la musique répétitive et le concept de musique d’ameublement… ». Glorifiant Dada, ce spectacle ne serait pas complet sans les notes de l’ancien disciple du sâr Peladan. Outre celles adaptées à la mode du jour que diffusent les haut-parleurs en alternance avec des bruitages (aboiements, cris d’enfants, etc.), elles naissent au piano sous les doigts de Raphaël Howson secondé par Charles Lavaud, partenaires occasionnels des ébats de leurs camarades. Le jeu est clair, articulé, nuancé, et offre de Satie plus que l’image d’un pondeur de ritournelles.

LB