Chroniques

par irma foletti

Ermione | Hermione
azione tragica de Gioachino Rossini

Teatro San Carlo, Naples
- 9 et 10 novembre 2019
"Ermione" de Rossini au Teatro San Carlo de Naples, où il fut créé en 1819
© francesco squeglia

Quel plaisir et quelle émotion d’assister à Ermione de Rossini au Teatro San Carlo de Naples, ce même théâtre où l’œuvre fut créée il y a exactement deux cents ans (première le 27 mars 1819) ! Occupant sans conteste la place de numéro un parmi les maisons d’opéra à cette époque, le San Carlo tenait à sa disposition les meilleurs chanteurs du moment, en particulier le baritenore Andrea Nozzari, à la tessiture monstrueusement étendue, et le virtuose et suraigu Giovanni David, ces deux ténors mythiques interprétant les rôles respectifs de Pirro et Oreste. Le Rossini Opera Festival (ROF) de Pesaro remontait l’ouvrage en 1987 en mettant la main sur deux perles rares, Chris Merritt et Rockwell Blake, entrés eux aussi dans une légende plus récente, puis après d’autres théâtres, l’Opéra national de Lyon et le Théâtre des Champs-Élysées alignaient en 2016 (pour des soirées de concert) Michael Spyres et Dmitri Korchak, sous la baguette du regretté Alberto Zedda.

Pour sa série de trois représentations, le théâtre napolitain a la main moins heureuse en ce qui concerne Pirro, défendu par John Irvin [lire nos chroniques du Siège de Corinthe et de La damnation de Faust]. Le ténor américain chante certes les notes vertigineuses de la partition, mais dans un volume bien trop mince pour faire bonne impression, la voix se perdant rapidement dans les ensembles ou disparaissant derrière l’orchestre. Antonino Siragusa (Oreste) est, quant à lui, une valeur plus sûre du chant rossinien, dans un rôle qu’il a déjà interprété au ROF dans une production de 2008 (il en existe un DVD chez Dynamic). L’instrument est mieux projeté, l’agilité en place, même si quelques aigus sont pointus ou passés un peu trop en force [lire nos chroniques de Don Pasquale, L’Italiana in Algeri et Semiramide]. Le troisième ténor, Pilade, fait l’objet d’une alternance : on préfère le timbre clair et dynamique de Julian Henao (le 10 novembre) à Filippo Adami (le 9), même si les deux rencontrent des problèmes de stabilité dans l’extrême aigu. Côté basses, Fenicio est tenu par Guido Loconsolo le 9 et Ugo Guagliardo le 10 : le premier possède un aigu qui a tendance à se dérober mais présente davantage de séduction dans le timbre.

La partie féminine du plateau domine nettement, à commencer par le soprano Angela Meade distribué le 9 novembre dans le très difficile rôle-titre, et déjà présente en 2016 à Lyon et à Paris. L’Américaine est dotée d’une puissance impressionnante, alliée à une tessiture fort étendue [lire nos chroniques d’Anna Bolena et de Stiffelio]. Son interprétation est pleinement convaincante, en particulier durant sa longue scène du second acte, Essa corre al trionfo, où elle alterne douceur et fureur autoritaire. Le lendemain, c’est l’Italienne Arianna Vendittelli qui lui succède [lire nos chroniques de Le nozze in sogno, San Giovanni Battista et Merope], avec un mordant appréciable mais sans toutefois atteindre aux déchainements de sa consœur. La voix est suffisamment longue, le volume moindre, et le chant de très belle qualité. Le mezzo Teresa Iervolino (Andromaca) est également bien connu des amateurs, pour son timbre riche et une souplesse capable de relever les traits d’agilité [lire nos chroniques de Lucrezia Borgia, La Cenerentola, Semiramide et L’equivoco stravagante]. La chanteuse se permet de petites variations sur son air d’entrée. Gaia Petrone et Chiara Tirotta complètent agréablement, dans les rôles secondaires de Cleone et Cefisa.

Une autre bonne nouvelle vient de la direction musicale d’Alessandro De Marchi, à la tête d’un Orchestra del Teatro di San Carlo qui donne le meilleur de lui-même, et du Chœur vaillant. Davantage connu dans le répertoire baroque [lire nos chroniques de Deidamia, Rinaldo, Flavius Bertaridus, La Dirindina, Stellidaura vendicante, Almira, La grotta di Trofonio et Didone abbandonata], le chef dessine une architecture musicale solide, maintient la tension en variant volumes et contrastes. Le public est surpris dès le début de la représentation : dans cet opéra ne comportant pas d’ouverture à proprement parler, toute la première scène du chœur des prisonniers est jouée et chantée rideau fermé, comme un écho lointain du meilleur effet. Elle est saluée par des applaudissements, juste avant le lever de rideau... constituant ainsi une forme d’ouverture.

Si Ermione est d’abord une fête du chant, la mise en scène de Jacopo Spirei [lire notre chronique de Mitridate] ne vient en rien la gâcher, dans les décors d’un blanc élégant et néoclassiques de Nikolaus Webern [lire nos chroniques de Falstaff et d’Eugène Onéguine]. Les hautes grilles du premier tableau se lèvent pour dévoiler un vaste salon, avant qu’un hémicycle ne prenne la place quand Pirro reçoit Oreste. Les costumes de Giusi Giustino sont contemporains, avec plusieurs belles tenues colorées pour Andromaca et Ermione, des robes élégantes pour les autres femmes et des habits militaires pour les hommes. Les images sont esthétiques, mais le jeu des acteurs moins probant : Pirro serre ses poings rageurs pour marquer la colère, ou bien c’est Ermione, pas contente, qui renverse quelques chaises... Le geste théâtral reste modeste. La scène finale est plus marquante, carnage opéré par Oreste et ses hommes, avec les corps sans vie de Pirro et d’Andromaca entourés des invités du mariage.

IF