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Chroniques
Ernani | Hernani
opéra de Giuseppe Verdi
Donner vie à l’Ernani de Verdi – tiré bien sûr de la pièce de théâtre de Victor Hugo qui en son temps provoqua la bataille que l’on sait – relève de l’exploit, s’agissant d’une œuvre de jeunesse tant pour le musicien que pour le poète, sur un livret des plus « abracadabrantesques » de Francesco Maria Piave. C’est même à se demander si le sujet a vraiment inspiré Verdi qui, débutant, était déjà soucieux de vérité humaine, comme le prouveront Nabucco puis Macbeth.
Ernani souffre bien entendu de la forme mi opera seria voulue par le compositeur. On se trouve devant une partition où les airs abondent, où la facilité naturelle de Verdi pour l’invention mélodique en fait autant de morceaux agréables à écouter. Partition forcément influencée par Donizetti, fraîche, spontanée, avec un joli équilibre entre airs de bravoure et souci dramatique. Pour une fois, enfonçons le clou : une collection d’airs agréables fait-elle un opéra digne de ce nom ? Et ce, malgré un crescendo final à couper le souffle ? Cet Ernani ne semble peuplé que… de fantoches. Verdi ne pouvait rien faire de cette situation, sinon composer une musique plaisante, un rien gratuite ?
Ne boudons pas notre plaisir devant la fresque historique (coproduite avec l’Opéra Royal de Wallonie) signée par Jean-Louis Grinda, qui propose non pas des pantins chantants, la main sur le cœur, à l’avant-scène, mais bien des êtres de chair et de sang : ils vivent, aiment, se battent et meurent. Voilà du théâtre lyrique, du vrai, qui ne phagocyte pas la musique, sans esbroufe, sans tapage. Une décoratrice (Isabelle Partiot-Pieri) et une costumière (Teresa Acone) inspirées, des chanteurs qui jouent le jeu et donnent le meilleur d’eux-mêmes, et c’est parti pour une soirée à marquer d’une pierre blanche dans la nuit monégasque.
Le grand mérite du metteur en scène est avant tout d’avoir simplifié à l’extrême les lignes de force, sans priver le théâtre de sa vie, de son mouvement, de sa chaleur pour ainsi retrouver l’équilibre même de l’opéra verdien : des conflits schématiques, exacerbés par un lyrisme ardent. Chapeau bas au septuor vocal engagé : une prise de rôles pour tous, même pour le chef – un petit exploit, sympathique à souligner.
À tout seigneur, tout honneur. Ludovic Tézier n’est pas seulement le plus grand baryton français du moment, c’est aussi un interprète génial qui confère une exceptionnelle stature à son Carlos, roi d’Espagne. Il est superbe de noblesse, de phrasé, de compréhension du texte et de diction – un timbre éclatant : un vrai monarque. De son côté, Ramón Vargas, solaire, d’une santé vocale à toutes épreuves, très jeune premier romantique, ne manque ni de souplesse, ni de style, ni d’allure. Les aigus sont, là aussi, naturels, séduisant le côté estatico du rôle-titre, car à la fois plein de mordant et de morbidezza quand il le faut. Le très jeune Alexander Vinogradov présente une figure bouleversante du vieux Silva, vrai cocu planté sur les ergots de l’honneur castillan. Avec un jeu infini de nuances et de couleurs, une fantastique maîtrise des clairs-obscurs, cet artiste invite à le suivre de très près.
Sans avoir toutes les facettes vocales du rôle, Svetla Vassilieva se heurte au sfogato d’Elvira, l’un des soprani verdiens les plus délicats à distribuer. Tendue, mi-ombre mi-lumière, la chanteuse semble se lancer un défi, comme la Freni à La Scala voici trente ans. Plat comme une sole, Ernani, involami laisse indifférent ; exotique, la vocalisation amuse. En deuxième partie, la belle Bulgare trouvera des accents déchirants au trio final, assumant de belle manière l’invective et le désespoir de sa malheureuse héroïne. Laissons-lui le temps d’approfondir tout cela.
L’Ernani du chef milanais Daniele Callegari relève du roman d’aventures, telle une vraie bande-son pour le meilleur film hollywoodien. Entre fracas d’épées et conciliabules politiques, voici une course-poursuite nocturne hallucinante et hallucinée, un souffle « risorgimental » rare… Percutants seconds rôles et Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo épiques – parfaits, simplement parfaits –, qui rayonnent d’un éclat mystérieux dans le célèbre Si ridesti il Leon di Castiglia.
CC