Chroniques

par irma foletti

Ersatzkonzert Rossini
Polina Anikina, Francesco Bossi, Doğukan Özkan, Emmanuel Franco et Mert Süngü

Orkiestra Filharmonii im. Szymanowskiego w Krakowie, José Miguel Pérez-Sierra
Rossini in Wildbad / Trinkhalle, Bad Wildbad
- 24 juillet 2024
"Ersatzkonzert" au festival Rossini in Wildbad 2024...
© dr

On n’assiste pas tous les jours à un Ersatzkonzert, c’est-à-dire un concert de remplacement ! La plaquette initiale du festival Rossini in Wildbad annonçait une soirée Arie per Giovanni David dédiée au fameux ténor qui créa de nombreux rôles rossiniens au Teatro San Carlo de Naples, entre Il Turco in Italia (1814) et Zelmira (1822). Puis le programme se changeait il y a quelques mois en Die zwei Gesichter des Gilbert-Louis Duprez, soit les deux visages du célèbre ténor français, précurseur du contre-ut de poitrine au cours d’une reprise parisienne de Guillaume Tell. Mais le chef Alessandro De Marchi ayant malheureusement dû se retirer précipitamment de ce dernier projet, c’est José Miguel Pérez-Sierra qui reprend la baguette [lire nos chroniques de Lucrezia Borgia à Bilbao, Maruxa, Tosca et Carmen], pour un programme Rossini de remplacement, donc, avec le concours de cinq chanteurs.

Des ouvertures supplémentaires ont été insérées, comme celle de La Cenerentola pour débuter, jouée avec enthousiasme par les musiciens de l’Orkiestrasymfoniczna filharmonii im. Szymanowskiego w Krakowie(Orchestre symphonique de la Philharmonie Szymanowski de Cracovie). Chef rossinien de renom [lire nos chroniques de L’equivoco stravagante, La scala di seta et Armida], José Miguel Pérez-Sierra impulse les justes tempi, sans mettre toutefois les solistes en difficulté, clarinette, flûte, piccolo et cors en tête pour leurs difficiles soli. Le baryton Emmanuel Franco interprète ensuite l’air de Dandini Come un' ape ne' giorni d'aprile d’une voix ferme, bien timbrée, puissante et suffisamment souple pour passer les traits d’agilité, l’interprète étant par ailleurs doté d’une indéniable vis comica [lire nos chroniques de Salome et du Philtre].

L’extrait enchaîné est certainement l’unique survivant au changement de programme, soit le grand air d’entrée d’Otello, À vous mon bras, mon âme, dans sa rarissime version française (Ah si, per voi già sento dans l’original italien). Même si plusieurs notes sont transposées par rapport à la version italienne, le rôle sollicite les extrêmes de la tessiture d’un baritenore, format vocal que ne possède pas Mert Süngü. Le grave lui fait en particulier défaut dans la partie centrale et lente, tandis que le registre aigu est inconstant, entre notes plutôt brillantes et d’autres davantage resserrées [lire nos chroniques de L’incoronazione di Poppea, Le nozze di Teti e di Peleo, Zelmira, Lucrezia Borgia à Toulouse, Ecuba, Elisabetta, regina d’Inghilterra, Moïse et Pharaon et Silla]. On retrouve un peu plus tard le ténor à son meilleur en Edgardo de Lucia di Lammermoor – ce petit crochet par Donizetti constitue le seul écart d’une route exclusivement Rossini, tracée pour la soirée –, son air Fra poco a me ricovero étant conduit avec un élégant legato, projetant son registre aigu avec force.

Membre de l’Akademie BelCanto lors de cette édition, le mezzo Polina Anikina est une très belle découverte en Tancredi et son air d’entrée en plusieurs parties, Oh patria!... Tu che accendi questo core... Di tanti palpiti. La couleur vocale correspond idéalement au personnage, les récitatifs sont énoncés avec ampleur et autorité, la cabalette chantée avec abattage. Puis, pour terminer la première partie, c’est l’Ouverture de Guillaume Tell qui déchaîne les décibels, un finale qui emporte tout.

Après l’entracte, les artistes convient à un mini-Barbiere di Siviglia, depuis son Ouverture, donnée par instants avec une puissance un peu démesurée, jusqu’au trio Rosina-Almaviva-Figaro, en fin de second acte. Nous avons droit à deux Figaro, d’abord Francesco Bossi, élève de l’Akademie BelCanto, baryton au style mordant dans Largo al factotum della città, à l’extrême aigu légèrement fragile, toutefois. Emmanuel Franco prend le relais plus tard, baryton plus solide avec plusieurs années de carrière. Mert Süngü s’accompagne lui-même à la guitare pour chanter Se il mio nome saper voi bramate, et le troisième élève de l’académie, Doğukan Özkan, prend les habits de Don Basilio dans La calunnia è un venticello, baryton-basse à la voix profonde. Polina Anikina est de retour en Rosina où elle déploie à nouveau une très belle voix sombre, mais en trouvant tout de même ses limites en virtuosité dans le trio Ah! qual colpo inaspettato. Au bilan, un concert Rossini qui fait découvrir de nouvelles voix prometteuses, devant un public malheureusement venu en petit nombre.

IF