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Chroniques
Espace et voix de Kaija Saariaho
Connu au siècle dernier sous le nom de Jeunes Solistes, l’ensemble Solistes XXI délaisse ce soir les ponts établis d’habitude entre les époques et les répertoires, pour un concert monographique dédié à Kaija Saariaho. Quelques mois après cet autre, peu convaincant, proposé par l’Orchestre de Paris [lire notre chronique du 13 mars 2008], Voix, Espace présente une alternance réussie de pièces d’ensemble et de solistes avec électronique obligée, informatique et vidéo, sous la direction soignée de Rachid Safir. Écrites sur une période de deux décennies, les œuvres choisies offrent des textes fort différents (Balzac, Barrière, Plath, Roubaud, etc.) associés à des musiques elles aussi contrastées, formellement et stylistiquement.
En mars 2008, la compositrice confiait à 100% Finlande : « enfant, après la pluie, j’adorais aller en forêt, mais je ne savais pas pourquoi. Et c’est seulement après que j’ai compris que, quand les feuilles étaient mouillées et que les oiseaux commençaient à chanter, il y avait une sonorité particulière, que j’aimais tant. (…) Des sensations comme ça, qui sont des sensations de tous les jours, me semblent très précieuses aujourd’hui ». Avec la poésie d’Hölderlin célébrant les saisons, Tag des Jahres (2002) aborde largement les notions de temps et d’espace. Trois voix féminines dominent ce chœur de huit au traitement « archaïque », dans une pièce languide et mélancolique où percent sons de la nature et vibrations métalliques.
Cette évocation naturelle, on en relève la trace dans d’autres œuvres chorales. Nuits, Adieux (« à la mémoire de ma grand-mère », 1991) célèbre tout d’abord la tombée du jour, les herbes, la terre, pour saluer finalement ceux (minéraux et vivants ?) qui seront « tout amour et prière ». Ces dix sections d’une dizaine de minutes magnifiques traitent du chant, du souffle et du chuchotement. Chacun des quatre participants utilise deux micros : les événements chantés dans le premier ont ainsi pour toile de fond une texture changeant continuellement. Créé ici même en mai 2008, Echo ! est un hommage à Messiaen et au compositeur Claude Le Jeune (mort en 1600) qui inspira ses Cinq rechants. Le thème usé de Narcisse et Echo retrouve ici une agréable jeunesse.
Deux pièces pour soprano et électronique s’intercalent entre ces polyphonies. À la suite de Dawn Upshaw – sa dédicataire et créatrice, qui l’a ensuite enregistré – Céline Boucard débute Lonh (1996) sur un murmure presque confidentiel. Nuancée, sa voix limpide, voire désincarnée, nous entraîne dans l’univers amoureux du troubadour Jaufré Rudel – retrouvé quelques années plus tard pour L'Amour de loin [lire notre critique du DVD]. Si cloches et oiseaux accompagnent la soliste, c’est peut-être avec son double que dialogue Raphaëlle Kennedy pour les cinq mélodies de From the grammar of dreams (1988), d’un timbre chaud, tendrement granuleux, et avec une belle évidence.
Puisque ce concert se veut un spectacle multimédia, terminons sur le travail vidéastique de Jean-Baptiste Barrière, lequel recherche une image en profonde adéquation avec la musique souvent spatialisée de Saariaho, « sans pléonasme, ni antagonisme arbitraires, en interaction dynamique et évolutive ». Nous restons pourtant sceptiques face aux propositions visuelles découvertes – superposition croissante des visages en scène à des vues extérieures dénaturées par quelque logiciel – qui non seulement n’apportent rien mais atrophient l’espace développé par le son.
LB