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Chroniques
Et Lux de Wolfgang Rihm
Quatuor Minguet, Ensemble Huelgas, Paul van Nevel
De cet opus pour huit voix et quatuor à cordes, on connaissait la première version, entendue à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille dans le cadre du Festival d’automne à Paris, il y a sept ans, sous les archets des Arditti et par l’Hilliard Ensemble, deux jours après sa création mondiale à la Philharmonie de Cologne [lire notre chronique du 17 novembre 2009]. Wolfgang Rihm a souhaité réviser sa copie (achevée le 11 octobre 2009) dont il n’était pas pleinement satisfait, semble-t-il, de sorte que nous découvrons ce soir la nouvelle version d’Et Lux, dont la première eut lieu à la Musikfest de Berlin le 2 septembre 2011.
Cette fois, c’est au Quatuor Minguet [lire notre chronique du 20 octobre 2004 et notre critique du CD Josef Suk] qu’est confiée la tâche difficile d’inviter l’écoute dans la douceur sans pareille d’une œuvre imaginée comme la caresse qui console. Dans l’acoustique qu’on pourrait dire excessive de l’Église Saint-Eustache, les presque-rien d’Et Lux trouvent avantage. La réinvention liturgique, comme selon une mémoire fragmentaire du rite, bénéficie du long et inestimable savoir faire de l’Ensemble Huelgas : l’inflexion vient directement de la musique vocale ancienne, avec ses émission et articulation particulières. On compte ici deux basses (Guillaume Olry et Marc Busnel), autant de soprani (Sabine Lutzenberger et Axelle Bernage), et quatre ténors (Bernd Oliver Fröhlich, Matthew Vine, Stefan Berghammer et Achim Schulz) dont certains ont à franchir par moments les frontières de leur tessiture vers des incursions falsettistes jusqu’à former le pupitre manquant (alti).
Sur sa pièce, Rihm précise, dans un entretien avec Serge Martin reproduit dans la brochure de salle, qu’elle est un Requiem, « mais ce n’est pas le Requiem d’une personne qui saurait ce qu’est un Requiem […] Jeune, j’ai souvent chanté dans des chorales le répertoire classique et romantique, c’est-à-dire aussi les Requiem de Mozart, Berlioz, Verdi, Brahms, ainsi que les motets fondés sur les textes du Requiem. De cette époque, il me reste toujours en mémoire un souvenir du texte, des bribes ». Et c’est bien cet insaisissable que l’on perçoit, comme surgi d’une très lointaine histoire religieuse. Les phrases latine du rite funèbre demeurent en suspens, alors que la musique, elle, ne paraît pas s’interrompre – elle porte donc au delà de la linéarité du texte un rite nouveau.
Un surprenant soupir dit par toutes les voix, inquiétant comme s’il s’agissait de celui qu’on nomme le dernier, signale un deuxième temps de l’œuvre. Et les quartettistes d’affirmer alors un son plus installé, rejoints ensuite par des chants appuyés. L’écriture se distingue par de rogues frottements. L’épisode ne dure pas ; bientôt le désir de réminiscence d’une harmonie fantasmée comme céleste et, à ce titre, forcément perdue, tisse d’autres tendretés rassérénantes, dont Paul van Nevel distille en maître la distance expressive [lire nos chroniques du 27 mai 2005 et du 8 juin 2003]. Voilà un concert contemporain qui happe, poursuivant l’auditeur, où qu’il aille, de sa méditative profondeur.
BB