Chroniques

par françois cavaillès

Fabien Gabel dirige l’Orchestre Français des Jeunes
œuvres de Berlioz, Mahler, Schumann et Strauss

Festival de Laon / Cathédrale Notre-Dame, Laon
- 6 septembre 2019
Fabien Gabel dirige l’Orchestre Français des Jeunes, au Festival de Laon 2019
© robert lefèvre

Dans l’atmosphère si particulière de la ville haute qui, au sein de huit kilomètres de remparts, recèle près de quatre-vingts monuments (dont la superbe cathédrale Notre-Dame), Laon sonne les trois coups de la trente-et-unième édition de son festival, tandis que l’Orchestre Français des Jeunes (OFJ) claque le clap de fin de sa tournée estivale. Âgés de seize à vingt-cinq ans, quatre-vingt-dix-neuf musiciens déroulent un programme plantureux, toutes cordes luxuriantes, avec d’abord l’Ouverture de l’opéra-comique Béatrice et Benedict d’Hector Berlioz (1862, adapté de la comédie Much ado about nothing de Shakespeare, ca.1599), roi de l’orchestration qu’ils célèbrent avec beaucoup d’énergie. Le son est massif, à la fois profond et imprégné d’une vivacité remarquable dans l’Allegro scherzando étincelant, ponctué de cors et bassons onctueux. Dans l’ample Andante un poco sostenuto, la clarinette a toute la douceur de Béatrice (en particulier dans l’air Il m’en souvient). Ensuite, le dialogue des thèmes prend des proportions à peine emphatiques qui emportent aisément l’admiration générale.

« L’un des plus fameux concertos pour piano, au lyrisme et à l’effusion empreints de l’amour pour Clara, la dédicataire » : ainsi s’annonce certainement la musique de l’idylle de Robert Schumann (brochure de salle). Que nenni ! Moins retentissant que le grand cri lyrique de Berlioz, le Concerto pour piano et orchestre en la mineur Op.54 (1845) est traversé d’angoisses nocturnes, d’émotions larvées et des hurlements d’un cœur exigeant. L’Allegro affetuoso plonge d’entrée dans les humeurs violemment changeantes de Schumann. Sous les doigts de Lise de la Salle, l’Andante espressivo diffuse un parfum âpre dont le pouvoir de séduction est décuplé par l’orchestre qui, en l’espace d’un instant – aussi jeune que par définition – se fait délicatement tempétueux, fougueux puis modéré (Appassionato). Fascinante, d’une grande tendresse dans les retours de l’Andante, mais soudain transpercée de colère comme pour prédire l’empilement de souffrances des temps à venir, l’étrange musique donne une impression plus sereine, pastorale et mélodieuse, à l’Andantino grazioso pourtant composé dans les affres de la maladie mentale, loin du bonheur conjugal. À la tête de l’OFJ, Fabien Gabel soigne la précision de l’alliage des cordes et des vents. Les accès de sauvagerie du Finale (Allegro vivace), mêlés à une sorte de joie viscérale, sont exprimés avec panache. Chaque interprète est fidèle à cette déclaration d’amour complexe, à la forte expression de l’attachement et de la crainte qui en découlent. En bis, Lise de la Salle profite du « lieu très inspirant » pour une touchante Sicilienne de Johann Sebastian Bach – un extrait de la Sonate pour flûte et clavecin en mi bémol majeur BWV 1031 arrangé pour piano seul par Wilhelm Kempff – laquelle trouve une résonance idéale dans la démesure de la cathédrale.

La teinte mélancolique et gracieuse demeure après l’entracte pour une seconde partie éprouvante. Le magistral Adagio de la Symphonie en fa# majeur n°10 de Gustav Mahler (inachevée) commence dans l’épure des altos, puis dévoile ses deux thèmes par des voies fantastiques, détournées et lumineuses. Entre les interprètes et le compositeur, le matin et le soir de la vie. Le plaisir est encore plus marqué avec le poème symphonique Tod und Verklärung Op.24 de Richard Strauss (1889). Avec élégance et courtoisie, la musique aspire à libérer tout en se montrant très captivante. D’une caresse seulement, Fabien Gabel ouvre l’ultime journée sous un ciel sombre, le supplice pour une autre goutte de vie, encore... Le tableau est net et le climat rend bien compte de la condition humaine qui demande simplement trop à comprendre et à aimer en un jour. À l’attaque de la Mort (Allegro molto agitato), l’effet d’une bombe est réussi, terrible coup de désespoir suivi de la magnifique poursuite vers la Rédemption, quête symphonique surpuissante, pleine de bravoure comme les cordes flamboyantes qui font régner le thème de l’Aspiration à la Vie. Au plus fort du déchaînement, passé le thème de l’Idéal, demeure la grande maîtrise du chef, jusqu’au bout de l’expérience transcendantale. Que l’âme s’échappe du corps ne rompt pas le cycle éternel, mais pour se remettre d’une œuvre aussi extrême, bonne chance !

FC