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Chroniques
Fabrice Pierre dirige l’Atelier XX-21
l’électronique dans l’œuvre de Berio
Illustration directe d’un premier temps de rencontre organisé en table-ronde [lire notre chronique du jour], le programme musical de la soirée se décline en deux pièces acousmatiques de Luciano Berio : Visage (1960-61) et Chants parallèles (1974), pour bande magnétique, et une pièce mixte, Différences, écrite entre 1958 et 1959 pour flûte, clarinette, harpe, alto, violoncelle et bande magnétique. « J’ai composé cette pièce en 1961 juste avant de quitter le Studio di Fonologia Musicale de la Radio Italienne à Milan : cette œuvre était aussi un hommage à la radio en tant que moyen le plus utilisé pour la propagation de mots inutiles », disait Berio à propos de Visage. Dans cet opus, qui est à voir comme un « programme radiophonique » qui tire son matériau de la voix de Cathy Berberian, le compositeur recherche avant tout une « métaphore du comportement vocal » dans laquelle le signifiant n’a plus aucune espèce d’importance. Cette voix constamment amplifiée – entre rires, larmes, impacts percussifs, souffle et granulation (dans tous les registres) – se fond avec beaucoup de subtilité dans la transformation électronique (essentiellement amplification, spatialisation, retard, harmoniseur).
Parfaitement installé en plein cœur du dispositif aux côtés des interprètes, nous profitons d’une diffusion en 5.1 avec nouvelle mise en espace assurée par Francesco Giomi (actuel directeur de Tempo Reale et professeur au Conservatoire de Bologne). Comme souvent dans le genre acousmatique, la disparition du son fait place à un silence presque gêné : doit-on applaudir ? qui ? quoi exactement ?... Preuve que ce renouvellement (pourtant daté) de l’écoute et de la situation de concert n’est pas encore entré dans les mœurs. De même faut-il attendre près d’une bonne minute pour que la salle Varèse retrouve le silence après le déclenchement, dont nous avons pour preuve la forme d’ondes sur un écran à portée d’œil, de Chant parallèle. Décidemment, l’absence physique d’un instrumentiste sur scène crée bien des bouleversements !
Si, en tant que commande de l’Union Européenne de la Radiodiffusion et de l’INA-GRM, la première version des Chants parallèles fut créée en 1975 à la Maison de Radio-France, c’est bien la version de 1997, réalisée avec le soutien de François Bayle et l’alors tout récent logiciel Pro-tools, qui est ici diffusée. Allégée de presque cinq minutes, cette seconde mouture conserve toutefois le principe d’une forme en arche avec culmination en son milieu. Le matériau, quant à lui, est composé d’un continuum vocal (sur onomatopées) couplé à des sons de synthèse et à l’insertion de « sons impacts ». Bien que cette œuvre ne nous soit pas inconnue, il est toujours réjouissant de pouvoir en bénéficier en « situation live ».
Le grincement d’une porte, un glissando d’alto et quelques éclats de voix… nous voilà de retour dans le monde instrumental. Et pour cause, cinq musiciens de l’Atelier XX-21 du CNSMD de Lyon rejoignent la scène (jusque-là exclusivement occupée par le dispositif) en compagnie de Fabrice Pierre, son directeur artistique depuis 1998. Composée pour les concerts du Domaine Musical, Différences demeure l’une des premières tentatives d’interaction entre électronique en temps réel et ensemble instrumental. Toujours dans une veine pédagogique (nous sommes dans un lieu de formation), la synchronisation est assurée par Francesco Giomi assisté de trois étudiants du département de création du conservatoire. Certes, Différences n’est pas à proprement parler une œuvre électronique, mais elle renseigne toutefois sur la manière dont Berio percevait cette mise en relation entre champs acoustique et électronique. Elle trouve donc toute sa place dans le programme où elle est conduite avec beaucoup de clarté par Fabrice Pierre à la tête d’instrumentistes particulièrement réactifs et attentifs à la partie électronique. Distinction et fusion entre l’ensemble « réel » et celui « sur support » sont prégnantes.
Cette première soirée, qui avait fait le choix d’une entrée immédiate et concrète (sans mauvais jeu de mots) dans le « son électronique Berio », nous met en appétit pour la suite des festivités ! À suivre…
NM