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Chroniques
Fabula d’Oscar Strasnoy
opéra pour contreténor et viole d’amour
La douzième étape du festival Présences est entièrement consacrée à l'opéra Fabula qu'Oscar Strasnoy composa en 2005 à partir d'un livret d'Alejandro Tantanian. Il fait partie de son assez vaste production de partitions qui aborde sans ambages la dimension théâtrale de la musique, l'un de ses principaux centres d'intérêt.
Mais Fabula n'est pas un opéra comme les autres. Cet « opéra de poche », comme le définit le compositeur lui-même, ne fait intervenir qu'un chanteur, le contre-ténor Daniel Gloger qui interprète tous les rôles – entendu dans la cantate Hochzeitsvorbereitungen (mit B und K) au début du festival [lire notre chronique du 14 janvier 2012] et Witold dans Geschichte [lire notre chronique du 15 janvier 2012] – et un altiste, Garth Knox, qui joue la viole d'amour et participe aussi aux dialogues en tant que narrateur, ou plutôt « commentateur » de l'histoire. C'est précisément l'interprétation de ces deux grands musiciens, pour lesquels l'œuvre à été conçue et qui l'ont créée au Teatro San Martín de Buenos Aires, qui donne un véritable sens dramaturgique à un livret volontairement grotesque auquel l'auditoire réagit d'ailleurs favorablement à force de drôleries grivoises fort peu élaborées.
Inspiré d'un conte folklorique italien dont la source n’est pas précisée par le programme, le livret raconte l'histoire d'un jeune homme qui, séduit par le parfum libéré par le mouchoir d'une dame âgée tombé depuis le balcon de l'appartement qu'elle partage avec ses sœurs toutes aussi séniles, s'éprend de ladite dame qu’il épouse sans même l'avoir vue. S'étant, après une nuit de jouissance charnelle, rendu compte de l'état de décrépitude de sa nouvelle femme, le jeune protagoniste la lance par la fenêtre. Passant par là, trois fées la transforment par pitié en une jeune et belle créature. Évidemment, le garçon redevient complètement fou d'elle.
Cette histoire rocambolesque aborde à sa manière le rapport toujours dangereux entre ce que l'on voit et ce que l'on voudrait voir, autrement dit l'importance attribuée à l'image en matière de jugement. Ce côté satirique n’est cependant qu’à peine mis en relief par le livret de Tantanian et, dans son comique, c'est plutôt l'aspect égrillard qui l'emporte. La question de la légitimité du rire ne se pose pas – l'œuvre se justifie finalement d'elle-même si elle est bien accueillie – mais l'aspect libidineux des vieilles femmes et la nuit d'amour entre les deux mariés, très explicitement décrite par la gestuelle lubrique de Gloger, éveillent sans doute plus d'hilarité qu'une quelconque réflexion qu’on voudrait déceler dans la trame de Fabula.
Daniel Gloger [photo] s'investit corps et âme pour rendre drôle la situation. Il transpire et surjoue, le visage rouge, tandis que sa grande qualité vocale lui permet d’interpréter les multiples rôles à lui être attribués, avec un registre changeant, du baryton au soprano, ce qui donne à son travail un jour grotesque, certes propice à l'interprétation du livret. De même pertinente manière, dans un français remarquable et une déclamation digne du meilleur acteur de théâtre, Garth Knox participe à sa réussite en jouant brillamment la viole d'amour avec une scordatura qui en élargit le registre jusqu'à atteindre les dimensions d'un quatuor à cordes.
La mise en scène de Renate Ackermann tire profit de la proximité du public que permettent les dimensions restreintes du Foyer du Châtelet. Daniel Gloger y intervient accoudé à une table de bar, buvant un verre et se préparant à raconter son histoire. Le début définit bien l'ambiance du reste de la pièce dans la répétition, une vingtaine de fois, du mot « ici » prononcé sur tous les tons (de l’interrogation à l'impératif), ce à quoi le narrateur (Knox) répond par la question « ici ? », rendant encore plus ridicule une situation qui l’était déjà beaucoup. Malheureusement, ce bon départ – fort ingénieux de la part de Strasnoy puisque cette répétition ne figure pas dans le livret – s'évapore une fois la situation posée, l'histoire se montrant incapable de sortir adroitement du piège de l’étiquette comique ; condamnée à faire rire, elle oublie les formes et s'adonne à l'humour le plus trivial.
Par sa simplicité volontaire, Fabula aspire à bouleverser l'ordre des choses, à mettre en évidence le culte du sérieux qui règne dans les salles de concert. D’où, selon Strasnoy, l'utilisation d'un livret tiré d'un conte grivois – dont la narration eut certainement du succès dans les soirées arrosées d'il y a quelques siècles ! –, alors que la linéarité discursive est presque mal vue de nos jours. Provoquant aisément le rire, l’œuvre ne pose pas les bases d'un véritable questionnement.
JP