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Chroniques
Falstaff
opéra de Giuseppe Verdi
Coup de maître pour le dernier spectacle de la saison à l’Opéra d’Amsterdam ! Koninklijk Concertgebouworkest en fosse, Daniele Gatti au pupitre, le Falstaff du moment, un casting solide et une production hilarante, venue de La Scala et du Met’. Il n’en fallait pas moins pour réussir un grand Verdi et un grand Falstaff.
Le décor (Paul Steinberg) situe l’action entre la fin du XIXe et le début du XXe, à la période de composition de l’opéra, sauf pour la scène chez Alice Ford, légèrement postérieure. Un grand panneau de bois représente d’abord la chambre de Falstaff dans laquelle trône un grand lit – Robert Carsen garde sa signature – et des tables pleines des restes de la soirée de la veille. Puis le mur s’éloigne (Scène 2) pour créer une salle de restaurant, avec à gauche la table des femmes lisant les deux lettres identiques de Falstaff, à droite la table des hommes complotant, et autour de nombreux figurants. La Scène I de l’Acte II nous ramène chez Falstaff, cette fois dans son salon, décoré de nombreux tableaux équestres. Puis la Scène 2 dans la cuisine d’Alice Ford, jaune poussin et très américaine, pour le plus grand plaisir du public qui applaudit le décor à l’ouverture de rideau. Au dernier acte, deux panneaux du même mur forment d’abord un angle au milieu de la scène pour représenter la grange où un (vrai) cheval grignote tranquillement du foin, puis le mur s’ouvre et laisse la place aux étoiles, où tout le monde a des cornes de cerf, à commencer par Falstaff. Nous sommes tous cocus ! – ce qu’on n’oubliera pas de nous rappeler en montrant tout le public du doigt pendant le dernier chœur.
Sur le plateau, tout est prétexte à drôlerie et bouffonnerie, et c’est là qu’il faut saluer le travail de Carsen, qui pourtant agaça souvent à force [lire nos chroniques du 27 juin 2013, du 14 mars et du 3 mai 2014]. La tendance actuelle est à considérer Falstaff non seulement comme le plus grand Verdi, mais aussi comme son ouvrage le plus sérieux, à l’instar du traitement dévolu également à Così fan tutte de Mozart. Or, s’il est vrai que le rire n’est pas le seul but de ces deux opéras, ceux-ci n’en restent pas moins des opéras comiques où le sérieux de l’impossible fidélité n’est pas à rechercher uniquement dans un état dépressif lié à l’inexistence de l’amour (au moins à long terme), mais aussi et surtout dans un regard objectif sur les situations, avec le second degré et le cynisme nécessaire, renforcés par les douceurs de l’alcool. Car ici tout le monde boit, tout le temps… Chaque scène utilise des blagues issues du cirque et du burlesque : Falstaff déroule une note de la soirée qui est tellement longue qu’elle tombe jusqu’à ses pieds ; pendant le premier duo amoureux de Nanetta et Fenton, Bardolfo va voler gratuitement et sans aucune justification le sac d’une vieille dame à la table d’à côté ; Mrs. Quickly porte une robe à fleurs de très mauvais goût, assortie à la doublure du manteau (costumes de Brigitte Reiffenstuel) ; etc.
Tout fonctionne grâce au travail précis du metteur en scène, exempt de presque tous ses tics, mais aussi grâce à une distribution et à des acteurs parfaitement crédibles dans leurs rôles. Falstaff sur les plus grandes scènes du monde, Ambrogio Maestri a le physique du rôle, mais aussi la voix ample, joyeuse, et une diction parfaite. En Ford, la voix de Serban Vasile manque de projection et certains aigus sont compliqués, mais l’acteur est d’une grande crédibilité. La voix très claire de Carlo Bosi convainc en Docteur Caius, et surpasse celles des rôles plus importants de Bardolfo (Patrizio Saudelli) et Pistola (Giovanni Battista Parodi). Paolo Fanale (Fenton) pourrait être plus lyrique, mais il compense par son engagement scénique.
La distribution féminine est dominée par l’excellente Mrs. Quickly de Daniela Barcellona et la voix gracieuse de Fiorenza Cedolins en Alice Ford. Meg Page a moins de projection et des agilités limitées, mais elle se surpasse pendant les scènes de groupe, tout comme Nannetta, Lisette Oropesa moins précise dans les duos amoureux qu’elle ne l’est dans le quatuor (II) et à la scène finale.
Danielle Gatti est passionnant dans ce chef-d’œuvre comique. Il cisèle chaque instant grâce à un Koninklijk Concertgebouworkest sans faille. Sa direction dynamique aux attaques franches et sa maîtrise des scènes de chœur ramènent aux grandes heures verdiennes.
VG